90. Et, à propos de ce qu’il désigne comme
religion, il ajoute qu’elle tend à xA0;résorber dans une unité
supérieurexA0; ibid. la division clanique qu’engendrent les deux autres
croyances. Pourtant, il est difficile, en regard de la religion ainsi
comprise, de la mettre sur le même plan que la sorcellerie et la magie,
celle-ci ne servant qu’à combattre celle-là. La suite de l’ouvrage, dont
le contenu ethnographique est beaucoup plus détaillé que les pages que
nous venons d’analyser, me semble démentir quelque peu la rigidité d’une
théorie qui aboutit paradoxalement à classer, selon un ordre
hiérarchisé qui va du bas de l’échelle des valeurs – la sorcellerie qui
est plut?t une antivaleur – au sommet où tr?ne la religion laquelle, ici
réduite à la portion congrue comparée aux deux autres, retrouvera une
place plus importante quand il s’agira des rites de la pluie, des
systèmes de représentations qu’elle considère comme autant de domaines
dont la séparation est nettement tranchée et qui ont chacun leur propre
logique.11 Le chapitre suivant consacré à l’initiation des gar?ons
suffit déjà, je crois, à illustrer cet assouplissement de la pensée de
l’auteur. Dire que cette initiation xA0;est non seulement une des
principales activités du gèrem, mais aussi la plus grande et la plus
prestigieuse cérémonie pèrèxA0; p.
93 prouve bien qu’elle concerne de fa?on essentielle la collectivité
comme telle, ses valeurs communes et non des croyances propres au
patriclan. La description que nous allons résumer montre que nous avons
affaire à un schème rituel somme toute assez classique malgré quelques
particularités remarquables. Les néophytes se représentent le gèrem,
xA0;la petite chosexA0;, comme xA0;un gros animal terrifiant que les
adultes retiennent par une corde attachée à son couxA0; p. 95. Les
anciens leur disent que ce monstre va sortir de la rivière où il se
nourrit de crabes et qu’il va les avaler. Les cérémonies durent trois
jours et sont placées sous l’autorité des dugi, propriétaires et ma?tres
de leur gèrem respectif. Le premier jour, les enfants sont terrorisés
par le son des trompes. Portant seulement un cache-sexe de feuilles, ils sortent des cases où
ils étaient blottis contre leur mère. Ils marchent devant leurs parrains
choisis par les pères parmi leurs parents proches qui mettent leur main
devant les yeux de leur filleul pour l’empêcher de voir les trompes. Le
deuxième jour est celui de la grande épreuve. Parrains et filleuls se
rendent sur l’aire d’initiation délimitée par un tapis de feuilles. Les
dugi tournent autour du cercle des novices accroupis en agitant les
clochettes du gèrem attachées à leur bras afin de xA0;chasser les
maladies que les enfants auraient pu contracter pendant leur nuit
agitéexA0; p. 99. Puis les dugi placent un bandeau végétal xA0;la
feuille de la mortxA0; sur les yeux de chaque enfant qui doit veiller à
bien le tenir, car s’il tombait à terre tout serait à recommencer.
Une phase essentielle du rituel initiatique commence alorsxA0 chacun
des parrains prend entre ses jambes écartées le visage bandé de son
filleul qui demeure allongé sur le ventre. xA0;Cette disposition
particulière, où “la feuille de la mort” placée sur les yeux du filleul
jouxte le sexe du parrain, n’est pas neutre. Non pas parce qu’on
pourrait penser que les enfants font une fellation à leurs a?nés, mais
parce que, comme on le comprendra plus loin, la feuille de la mort,
point aveugle du spectacle, et le sexe du parrain, unis ici par un
rapport de contigu?té, sont substituablesxA0; ibid.. Et, en effet, que
se passe-t-il? Les cloches tintent, les trompes retentissent avec force,
c’est la révélation aux enfants de xA0;la petite chosexA0;. Après les
coups de chicote et diverses violences des griffures profondes faites
sur tout le corps dont les néophytes sont les principales victimes, mais
que subissent aussi les deux autres groupes participant au rituel, les
dugi et les parrains, le secret est dévoiléxA0 ce sont les organes
génitaux de la bête qui vient de les avaler. Les étamines noires d’une
fleur de protea sont xA0;le vagin du gèremxA0;, les mains vides d’un
dugi tendues vers le gar?on représentent xA0;le pénis du gèremxA0;.