Enfield
& Stephen C. Levinson, eds, Roots of Human Sociality. Culture,
Cognition and Interaction, Oxford, Berg, 2006, 530 p., bibl., index,
ill., fig.57 Cet ouvrage collectif s’intéresse aux fondements de la
socialité humaine dans une perspective interdisciplinaire.
Dirigé par Stephen Levinson et Nick Enfield, chercheurs au Max Planck
Institute for Psycholinguistics (Pays-Bas) où ils s’occupent d’un projet
intitulé xA0;Language & CognitionxA0;, ce livre rassemble les
contributions d’une vingtaine de spécialistes de diverses disciplines,
la plupart de réputation internationale. Fruit d’un colloque organisé
par la Wenner-Gren Foundation en 2004, l’ouvrage fait ainsi dialoguer
des anthropologues, des linguistes, des psychologues, des éthologues et
des sociologues qui s’entre-citent et se répondent dans leurs
différentes contributions. Celles-ci tournent toutes autour d’une série
de questions centrales. Quelles sont les caractéristiques distinctives
de l’interaction humainexA0;? Sur quelles compétences cognitives repose-
t-ellexA0;? Quels sont ses fondements phylo- génétiques et
ontogénétiquesxA0;? Comment se décline-t-elle dans des contextes
socioculturels très diversxA0;? L’ouvrage pose ainsi le problème de
l’articulation entre culture et cognition, véritable chemin de croix de
l’anthropologie cognitive. Loin de verser dans un déterminisme sommaire
(la culture est le produit de la cognition humaine versus la cognition
varie indéfiniment en fonction des cultures), l’ouvrage aborde à nouveau
frais le problème en se focalisant sur un terme médianxA0;:
l’interaction. Celle-ci offre en effet un niveau d’analyse intermédiaire
particulièrement intéressant pour parvenir à articuler le niveau micro
des capacités cognitives et le niveau macro des institutions
socioculturelles. S’inscrivant dans le champ des recherches sur la
xA0;cognition socialexA0;, l’ouvrage part ainsi du principe selon lequel
l’étendue des compétences cognitives d’Homo sapiens serait directement
liée à la complexité des interactions qu’il a avec ses congénères. Ce serait ainsi la manière spécifique dont nous interagissons avec nos
semblables qui ferait notre humanité et nous distinguerait au sein du
règne animal.58 Centrées autour d’une même problé- matique, les dix-neuf
contributions qui composent le volume suivent cependant des approches
parfois sensiblement différentes. Plusieurs chapitres abordent la
question de l’interaction humaine du point de vue de la psychologie
développementalexA0;: quand et comment les capacités à interagir et
communiquer se mettent-elles en place au cours du développement de
l’enfantxA0;? Ulf Liszkowski, Janet Astington et Jennie Pyers
s’intéressent ainsi tous trois à l’acquisition graduelle par l’enfant
d’une xA0;théorie de l’espritxA0; (i. e. la capacité à attribuer à
autrui des représentations) et au lien de celle-ci avec différentes
formes de communication (gestuelle, langage). Le premier s’intéresse à
un type de communication qui semble bien distinguer les humains des
primates. En milieu naturel, les grands singes ne font jamais de gestes
déictiques (tels que pointer du doigt) et ne comprennent pas l’intention
communicative au principe de ces gestes (impératif du type
xA0;donne-moi celaxA0; ou bien déclaratif du type xA0;regarde celaxA0;).
Par contraste, le petit d’homme apprend rapidement et facilement à
communiquer de cette manière. Selon l’auteur, si les singes ne savent
pas pointer du doigt, c’est qu’ils sont incapables d’xA0;intentionnalité
partagéexA0;, capacité cognitive qui se trouve justement au principe de
l’apprentissage culturel chez l’homme.60 S’inscrivant également dans
une perspective résolument évolutionnaire, Robert Boyd et Peter
Richerson s’attachent à resituer l’émergence de la socialité au cours du
processus d’hominisation. Partant du constat que les sociétés humaines
se distinguent par des formes de coopération à une échelle beaucoup plus
vaste que les autres sociétés de primates, les auteurs montrent comment
ce trait spécifique a pu être sélectionné par renforcement mutuel entre
l’adaptation naturelle et l’adaptation culturelle. Dans le même
registre, Gy?rgy Gergely et Gergely Csibra posent la question de la
transmission culturelle, assurément l’un des traits spécifiques des
sociétés humaines. Ils opposent ainsi deux types de transmission selon
les mécanismes cognitifs sur lesquels elle reposexA0;: émulation versus
imitation. Accessible aux primates non humains, l’émulation concerne des
comportements xA0;cognitivement transparentsxA0;, c’est-à-dire des
comportements téléologiquement orientés dont les tenants et les
aboutissants sont clairement discernables par un observateur.