retrace, avec talent et érudition, les rapports qu’a
entretenus l’anthropologie avec l’étude des sociétés antiques. Si, à la
fin du xixe siècle, l’étude des sociétés antiques, en raison de leur
statut élevé dans le champ académique, a pu constituer un modèle de
référence pour le savoir émergent qu’était l’anthropologie, il en est
tout autrement dans les années 1960xA0;; avec la progressive
marginalisation des études classiques au sein de l’université, ce sont
les méthodes et les théories anthropologiques qui vont nourrir les
travaux des classicisants et contribuer fortement au développement d’une
anthropologie des sociétés antiques. Merrill Singer, quant à lui,
s’attache à l’émergence et à la consolidation de l’anthropologie
appliquée aux états-Unis, notamment au sein de l’American
Anthropological Association (aaa). Deux dates jalonnent ce
mouvementxA0;: 1941, la création de la Society for Applied Anthropology
avec le concours, entre autres, de Margaret Mead et de Gregory Bateson
et 1983, la fondation de la National Association for Practicing
Anthropologists (napa). Le développement, à la fin des années 1970,
d’une xA0;Nouvelle anthropologie appliquéexA0;, centrée sur la santé,
l’environnement, l’éducation et les droits de l’homme, n’est pas sans
rapports, selon l’auteur, avec, d’un c?té, l’effondrement du marché du
travail au sein de l’université, et avec, de l’autre, l’essor de
nouveaux débouchés professionnels dans le cadre d’organismes
gouvernementaux et non gouvernementaux.
Et Merrill Singer de soutenir que l’avenir de l’anthropologie passe
par la dimension appliquéexA0;: xA0;practice is not an option for
anthropology if it is to survivexA0;; it is the discipline’s destinyxA0;
(p.327). Pour polémique que soit cette assertion, elle a le mérite
d’inviter les anthropologues à réfléchir sur la destinée de leur
discipline[5] [5] Voir 224; ce sujet, les remarques pertinentes de
Maurice Bloch,...suite.36 Il ne saurait être question, dans ce cadre
limité, de rendre compte de fa?on exhaustive de la totalité des articles
contenus dans ce riche volume. La section xA0;Les traditions majeuresxA0; contient des synthèses
denses et bien documentées, portant sur l’anthropologie nord-américaine
(Regna Darnell), britannique (Henrika Kuklick) et dans les pays de
langue allemande (H. Glenn Penny)xA0;; Emmanuelle Sibeud, pour sa part,
examine xA0;Les métamorphoses de l’ethnologie en France, 1839-1930xA0;,
en mettant en relief le r?le des administrateurs coloniaux dans les
anciennes colonies fran?aises en Afrique. La section xA0;Anciennes
obsessionsxA0; inclut, outre l’article de Robert Ackerman, deux autres
textes, l’un sur l’approche anthropologique de la religion (Ivan
Strenski), l’autre sur la perception et la terminologie des couleurs
(Barbara Saunders). Comme son titre le laisse entrevoir, la section
xA0;Les passés négligésxA0; s’attache à l’anthropologie dans les pays
xA0;périphériquesxA0;, tels que les pays nordiques avec l’analyse des
écoles de Westermarck et de Nordenski?ld (Christer Lindberg) et la
Russie à la fin du xixe siècle (Nikolai Ssorin-Chaikov). Avec des essais
consacrés à la réception du darwinisme (Thomas F. Glick), à l’influence
de la notion de race dans la division entre anthropologie physique et
anthropologie culturelle aux états-Unis (Jonathan Marks) et aux critères
présidant à la séparation entre le règne humain et le monde animal
(Robert N. Proctor), A New History of Anthropology rend justice à la
dimension biologique, très souvent négligée dans les histoires de la
discipline.
37 La dernière section, xA0;Nouvelles directions et perspectivesxA0;,
s’attelle aussi bien aux sous-domaines en anthropologie (l’anthropologie
visuelle et l’anthropologie appliquée) qu’aux reconfigurations de la
notion de terrain. C’est l’un des mérites de l’article de Lyn Schumaker
de s’attarder sur la fa?on dont les femmes, par leur travail de terrain,
ont influencé les orientations de la discipline anthropologique. En
distinguant soigneusement l’histoire des femmes en anthropologie de
l’histoire du genre et de la sexualité en tant que domaines de
recherches, elle propose d’examiner le r?le qu’ont joué les femmes pour
ce qui est du travail de terrain, à l’instar d’autres figures, telles
que les missionnaires et les administrateurs. Qu’en est-il de la notion
d’aire culturelle, en tant qu’outil d’analyse en anthropologie, à
l’heure de la mondialisationxA0;? Telle est la question magistralement
posée par Rena Lederman dans son article xA0;Anthropological
RegionalismxA0;. On sait à quel point la définition d’aires culturelles,
à partir de critères géographiques, écologiques, linguistiques ou d’un
ensemble d’éléments culturels, a pu compter dans l’élaboration des
théories anthropologiques. Or, ce qui était l’apanage du savoir
anthropologique, à savoir l’expérience de terrain géographiquement
délimité, s’effrite graduellement, selon Rena Lederman, du fait du
questionnement des dichotomies local/global, dedans/dehors et de la
prise en considération d’un terrain devenu de plus en plus multisitué et
multilocal.38 éditrice de History of Anthropology Newsletter, Henrika
Kuklick est bien placée pour présenter des histoires plut?t qu’une
histoire canonique de l’anthropologie.