Grace à cetacte d’hypocrisie, on pouvait se faire pardonner toutesles
mésalliances, tous les crimes même, à la courd’Autriche ; et MarieThérèse
suivait en cela l’exempleque son père et sa mère lui avaient donné,
d’accueillirquiconque voulait échapper aux rebuts et aux dédains de l’Allemagne
protestante, en se réfugiant dans legiron de l’église romaine. Mais, toute
princesse et toutecatholique qu’elle était, la margrave n’était rien àVienne, et
M. de Kaunitz était tout. Aussit?t que Consuelo eut chanté son troisièmemorceau,
le Porpora, qui savait les usages, lui fit unsigne, roula les cahiers, et sortit
avec elle par une petiteporte de c?té sans déranger par sa retraite les
noblespersonnes qui avaient bien voulu ouvrir l’oreille à sesaccents divins.
Tout va bien, lui ditil en se frottant les mainslorsqu’ils furent dans la rue,
escortés par Joseph quileur portait le flambeau. Le Kaunitz est un vieux fouqui
s’y conna?t, et qui te poussera loin.Et qui est le Kaunitz ? je ne l’ai pas vu,
ditConsuelo. Tu ne l’as pas vu, tête ahurie ! Il t’a parlé pendantplus d’une
heure.Mais ce n’est pas ce petit monsieur en gilet rose etargent, qui m’a fait
tant de commérages que je croyaisentendre une vieille ouvreuse de loges ?C’est
luimême. Qu’y atil là d’étonnant ?Moi, je trouve cela fort étonnant,
réponditConsuelo, et ce n’était point là l’idée que je me faisaisd’un homme
d’état.C’est que tu ne vois pas comment marchent lesétats. Si tu le voyais, tu
trouverais fort surprenant queles hommes d’état fussent autre chose que de
vieillescommères. Allons, silence làdessus, et faisons notremétier à travers
cette mascarade du monde.Hélas ! mon ma?tre, dit la jeune fille, devenuepensive
en traversant la vaste esplanade du rempartpour se diriger vers le faubourg où
était située leurmodeste demeure : je me demande justement ce quedevient notre
métier, au milieu de ces masques si froidsou si menteurs.
Eh ! que veuxtu qu’il devienne ? reprit le Porporaavec son ton
brusque et saccadé : il n’a point à devenirceci ou cela. Heureux ou malheureux,
triomphant oudédaigné, il reste ce qu’il est : le plus beau, le plusnoble métier
de la terre !Oh oui ! dit Consuelo en ralentissant le pastoujours rapide de son
ma?tre et en s’attachant à sonbras, je comprends que la grandeur et la dignité
de notreart ne peuvent pas être rabaissées ou relevées au gré ducaprice frivole
ou du mauvais go?t qui gouvernent lemonde ; mais pourquoi laissonsnous ravaler
nospersonnes ? Pourquoi allonsnous les exposer auxdédains, ou aux encouragements
parfois plus humiliantsencore des profanes ? Si l’art est sacré, ne le
sommesnous pas aussi, nous ses prêtres et ses lévites ? Que ne vivonsnous au
fond de nos mansardes, heureux decomprendre et de sentir la musique, et
qu’allonsnousfaire dans ces salons où l’on nous écoute en chuchotant,où l’on
nous applaudit en pensant à autre chose, et oùl’on rougirait de nous regarder
une minute comme desêtres humains, après que nous avons fini de paradercomme des
histrions ?Eh ! eh ! gronda le Porpora en s’arrêtant, et enfrappant sa canne sur
le pavé, quelles sottes vanités etquelles fausses idées nous trottent donc par
la cervelleaujourd’hui ? Que sommesnous, et qu’avonsnousbesoin d’être autre
chose que des histrions ? Ils nousappellent ainsi par mépris ! Eh ! qu’importe
si noussommes histrions par go?t, par vocation et parl’élection du ciel, comme
ils sont grands seigneurs parhasard, par contrainte ou par le suffrage des sots
? Ouida ! histrions ! ne l’est pas qui veut ! Qu’ils essaientdonc de l’être, et
nous verrons comme ils s’y prendront,ces mirmidons qui se croient si beaux ! Que
lamargrave douairière de Bareith endosse le manteautragique, qu’elle mette sa
grosse vilaine jambe dans lecothurne, et qu’elle fasse trois pas sur les
planches ;nous verrons une étrange princesse ! Et que croistuqu’elle fit dans sa
petite cour d’Erlangen, au temps oùelle croyait régner ? Elle essayait de se
draper en reine,et elle suait sang et eau pour jouer un r?le audessus deses
forces. Elle était née pour faire une vivandière, et, par une étrange méprise,
la destinée en avait fait unealtesse. Aussi atelle mérité mille sifflets
lorsqu’ellefaisait l’altesse à contresens. Et toi, sotte enfant, Dieut’a faite
reine ; il t’a mis au front un diadème de beauté,d’intelligence et de force. Que
l’on te mène au milieud’une nation libre, intelligente et sensible je
supposequ’il en existe de telles !, et te voilà reine, parce que tun’as qu’à te
montrer et à chanter pour prouver que tu esreine de droit divin. Eh bien, il
n’en est point ainsi ! Lemonde va autrement.
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