Et cependant elle doutait encore ; l'inoffensive Valentine ne pouvait se figurer
que quelqu'un désir?t sa mort ; pourquoi, dans quel but, quel mal avait-elle
fait qui p?t lui susciter un ennemi, Il n'y avait pas de crainte qu'elle
s'endorm?t. Une seule idée, une idée terrible tenait son esprit tendu : c'est
qu'il existait une personne au monde qui avait tenté de l'assassiner et qui
allait le tenter encore. Si cette fois cette personne, lassée de voir
l'inefficacité du poison, allait, comme l'avait dit Monte-Cristo, avoir recours
au fer ! si le comte n'allait pas avoir le temps d'accourir ! si elle touchait à
son dernier moment ! si elle ne devait plus revoir Morrel ! ? cette pensée qui
la couvrait à la fois d'une p?leur livide et d'une sueur glacée, Valentine était
prête à saisir le cordon de la sonnette et à appeler au secours. Mais il lui
semblait, à travers la porte de la bibliothèque, voir étinceler l'il du comte,
cet il qui pesait sur son souvenir, et qui, lorsqu'elle y songeait, l'écrasait
d'une telle honte, qu'elle se demandait si jamais la reconnaissance parviendrait
à effacer ce pénible effet de l'indiscrète amitié du comte. Vingt minutes, vingt
éternités s'écoulèrent ainsi, puis dix autres minutes encore ; enfin la pendule,
criant une seconde à l'avance, finit par frapper un coup sur le timbre sonore.
CI. Locuste. 170,
Page 175, Le Comte de Monte-Cristo, Tome IV En ce moment même, un grattement
imperceptible de l'ongle sur le bois de la bibliothèque apprit à Valentine que
le comte veillait et lui recommandait de veiller. En effet, du c?té opposé,
c'est-à-dire vers la chambre d'?douard, il sembla à Valentine qu'elle entendait
crier le parquet ; elle prêta l'oreille, retenant sa respiration presque
étouffée ; le bouton de la serrure grin?a et la porte tourna sur ses gonds.
Valentine s'était soulevée sur son coude, elle n'eut que le temps de se laisser
retomber sur son lit et de cacher ses yeux sous son bras. Puis, tremblante,
agitée, le cur serré d'un indicible effroi, elle attendit. Quelqu'un s'approcha
du lit et effleura les rideaux. Valentine rassembla toutes ses forces et laissa
entendre ce murmure régulier de la respiration qui annonce un sommeil
tranquille. ?Valentine ! ? dit tout bas une voix. , La
jeune fille frissonna jusqu'au fond du cur, mais ne répondit point. ?Valentine !
? répéta la même voix. Même silence : Valentine avait promis de ne point se
réveiller. Puis tout demeura immobile. Seulement Valentine entendit le bruit
presque insensible d'une liqueur tombant dans le verre qu'elle venait de vider.
Alors elle osa, sous le rempart de son bras étendu, entrouvrir sa paupière. Elle
vit alors une femme en peignoir blanc, qui vidait dans son verre une liqueur
préparée d'avance dans une fiole.
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