et ces lacs, jamais une nacelle ne les a sillonnés, jamais le filet d'un pêcheur
n'a troublé leur cristal, profond comme l'azur du ciel . la voix humaine y
retentit à peine de temps en temps, faisant entendre un chant moldave auquel
répondent les cris des animaux sauvages . chant et cris vont éveiller XII LES
MONTS CARPATHES. 120 Page 124 Les mille et un fantomes quelque écho solitaire,
tout étonné qu'une rumeur quelconque lui ait appris sa propre existence, Pendant
bien des milles, on voyage sous les vo?tes sombres de bois coupés par ces
merveilles inattendues que la solitude nous révèle à chaque pas, et qui font
passer notre esprit de l'étonnement à l'admiration. Là, le danger est partout,
et se compose de mille dangers différents . mais on n'a pas le temps d'avoir
peur, tant ces dangers sont sublimes. Tant?t ce sont des cascades improvisées
par la fonte des glaces, qui, bondissant de rochers en rochers, envahissent tout
à coup l'étroit sentier que vous suivez, sentier tracé par le passage de la bête
fauve et du chasseur qui la poursuit . tant?t ce
sont des arbres minés par le temps qui se détachent du sol et tombent avec un
fracas terrible qui semble être celui d'un tremblement de terre, tant?t enfin ce
sont les ouragans qui vous enveloppent de nuages au milieu desquels on voit
jaillir, s'allonger et se tordre l'éclair, pareil à un serpent de feu. Puis,
après ces pics alpestres, après ces forêts primitives, comme vous avez eu des
montagnes géantes, comme vous avez eu des bois sans limites, vous avez des
steppes sans fin, véritable mer avec ses vagues et ses tempêtes, savanes arides
et bosselées où la vue se perd dans un horizon sans bornes . alors ce n'est plus
la terreur qui s'empare de vous, c'est la tristesse qui vous inonde, c'est une
vaste et profonde mélancolie dont rien ne peut distraire, car l'aspect du pays,
aussi loin que votre regard peut s'étendre, est toujours le même, Vous montez et
vous descendez vingt fois des pentes semblables, cherchant vainement un chemin
trace, en vous voyant ainsi perdu dans votre isolement, au milieu des déserts,
vous vous croyez seul dans la nature, et votre mélancolie devient de la
désolation . en effet, la marche semble être devenue une chose inulile et qui ne
vous conduira à rien . vous ne rencontrez ni village, ni ch?teau, ni chaumière,
nulle trace d'habitation humaine, parfois seulement, comme une tristesse de plus
dans ce morne paysage, un petit lac sans roseaux, sans buissons, endormi au fond
d'un ravin, comme une autre mer Morte, vous barre la route avec ses eaux vertes,
audessus desquelles s'élèvent, à votre approche, quelques oiseaux aquatiques aux
cris prolongés et discordants. Puis, vous faites un détour . vous gravissez la
colline qui est devant vous, vous descendez dans une autre vallée, vous
gravissez une autre colline, et cela dure ainsi jusqu'à ce XII LES MONTS
CARPATHES. ,
121 Page 125 Les mille et un fantomes que vous ayez épuisé la cha?ne
moutonneuse, qui va toujours en s'amoindrissant. Mais, cette cha?ne épuisée, si
vous faites un coude vers le midi, alors le paysage reprend du grandiose, alors
vous apercevez une autre cha?ne de montagnes plus élevées, de forme plus
pittoresque, d'aspect plus riche, cellelà est tout empanachée de forêts, toute
coupée de ruisseaux . avec l'ombre et l'eau, la vie rena?t dans le paysage, on
entend la cloche d'un ermitage, on voit serpenter une caravane au flanc de
quelque montagne, Enfin, aux derniers rayons du soleil, on distingue, comme une
bande de blancs oiseaux appuyés les uns aux autres, les maisons de quelque
village qui semblent s'être groupées pour se préserver de quelque attaque
nocturne, car, avec la vie, est revenu le danger, et ce ne sont plus, comme dans
les premiers monts que l'on a traversés, des bandes d'ours et de loups qu'il
faut craindre, mais des hordes de brigands moldaves qu'il faut combattre,
Cependant, nous approchions. Dix journées de marche s'étaient passées sans
accident. Nous pouvions déjà apercevoir la cime du mont Pion, qui dépasse de la
tête toute cette famille de géants, et sur le versant méridional duquel est
situé le couvent de Sahastru, où je me rendais. Encore trois jours, et nous
étions arrivés. Nous étions à la fin du mois de juillet .
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