Mens agitat molem (L'esprit meut la masse.) A 9 heures, première pause
dans la salle des professeurs. On y retrouve le révérend Innocent
Ngomamo, 38 ans, directeur de conscience des presbytériens, qui
représentent la moitié des élèves. L'autre moitié est adventiste,
pentec?tiste, anglicane, catholique ou musulmane. ?Il y a un service le
dimanche matin pour les catholiques de 8 heures à 9 heures, puis de 9
heures à 10 heures pour les autres églises?, explique le saint homme.
Présent lui aussi, Stephen Marsh, professeur de grec ancien. Arrivé en
1999, il avait besoin de quitter le monde oxfordien, peut-être pour
retrouver un élan.
Il a tous les stigmates de l'ancien étudiant dipl?mé d'Oxford :
pantalon trop court, veste de lin froissée, et une cravate aussi
classique que son phrasé. Avec deux autres professeurs, ils sont les
hoplites de Kamuzu, les marins d'une Odyssée africaine. ?L'apprentissage
des classiques permet de développer son sens de l'analyse, sa mémoire,
et de découvrir l'histoire, explique-t-il. Mes élèves découvrent dans la
culture classique des ressemblances avec leur propre culture :
l'importance de la communauté, de la pression sociale et morale et des
rapports entre chefs et esclaves.? Mr. Marsh a retenu de l'Afrique que
le matériel n'était pas tout, qu'il ne fallait pas redouter le temps qui
passe, mais se réjouir de ce qui fonctionnait. A la lingerie, le
personnel s'affaire. Chacun des 530 élèves possédant deux uniformes, il faut coudre,
recoudre, découdre. Quelques canotiers attendent pêle-mêle une cérémonie
pour quitter leurs cartons. Non loin, aux fourneaux, des chefs
s'acharnent à cuisiner des pommes de terre tanzaniennes et des poulets,
anciens virtuoses du saut d'obstacle. Les repas sont une épreuve qui
poussent les élèves à se réfugier à la buvette pour acheter sodas et
biscuits. Point d'autres scandales à l'Académie. Si ce n'est qu'on lui a
reproché, au temps du dictateur, d'engloutir une grosse partie du
budget destiné à l'Education nationale. Aujourd'hui, tel n'est plus le
cas.
Une majorité d'élèves paient leurs études. Restent bien s?r ces
boursiers, arrivés pieds nus de leurs régions, le ventre vide mais la
tête pleine. Ils ne s'étonnent de rien. Porter une cravate, plonger dans
un bassin, découvrir l'Iliade et la Guerre des Gaules, jouer au rugby.
Une seule question hante les professeurs. Cette génération saura-t-elle
chan- ger l'Afrique et ma?triser ses démons ? Malins, les élèves se la
sont déjà posée bien plus simplement : ?Saurons-nous résister,
disent-ils, au marbre des palais et aux chromes étincelants des Mercedes
??Pourquoi le guépard ? L'oeil bleu de Michel Laforêt pétille : ? Parce
qu'il est le plus menacé.? A 4 h 30 du matin, le ciel rosit au-dessus
de la mer d'acacias qui s'étend à la frontière nord du Mozambique et de
l'Afrique du Sud, aux portes du parc Kruger.