Le bush s'éveille en stridulant, en chantant, en bruissant à travers le
feuillage. Devant la salle à manger coiffée de chaume où deux singes
vervets guettent pommes et raisins, Michel déchiffre dans la terre rouge
les passages nocturnes : ?Une girafe, des zèbres, un m?le et un jeune.
Ils couraient vite. Qu'est-ce qui a bien pu se passer cette nuit ??
s'interroge-t-il avec curiosité. Bient?t, les occupants des six
tentes-chambres aux terrasses surplombant la brousse partiront explorer
en Land Rover les 14 000 hectares de la Blyde Olifant Conservancy, ou
les réserves voisines de Tshukudu et Thornybush, 5 000 hectares chacune.
Une fois encore, la surprise offerte par la nature sera au rendez-vous :
éléphanteau s'ébrouant dans la boue, élans du Cap saisis en plein
galop, gracieux impalas, outarde géante titubant dans les hautes herbes,
sans oublier les fameux ?big five? : lions, éléphants, rhinocéros,
buffles et léopards. En termes précis, mêlant passion et connaissances,
Michel et ses guides pisteurs francophones expliqueront comment les
arbres se protègent des girafes, pourquoi les défenses de l'éléphant ne
sont pas symétriques, le mystère de la mise bas des impalas et autres
fascinantes histoires animalières.
Mais les promoteurs de ce confortable camp de brousse, animés d'une
volonté de retour aux sources (la décoration respecte l'environnement),
ne se contentent pas de communiquer leur amour de la nature. Ici se
livre un combat pacifique en faveur du plus fragile des grands fauves :
le guépard. Quand Michel Laforêt, ex-réalisateur de films publicitaires,
reprend en l'an 2000 la concession longeant la rivière Olifant, on
recense 170 guépards chez son voisin, l'immense parc Kruger. Le
territoire, grand comme la Corse, n'en compterait plus aujourd'hui que
70. Le guépard ne sait pas, au contraire du léopard, se réfugier dans un
arbre en cas de danger. Ses griffes non rétractiles lui permettent de
courir vite - jusqu'à 112 kilomètres/heure -, mais moins de se défendre.
En le poursuivant, les fermiers le tuent ou l'envoient chasser sur le
territoire de ses rivaux, les grands prédateurs. Dévorés par les lions, les léopards ou les hyènes, 98% des bébés
guépards n'atteignent pas l'?ge de 18 mois. Fils d'une famille d'origine
terrienne, éleveur de chevaux et de vaches des Highlands d'Ecosse, très
impliqué dans la conservation des pottocks du Pays basque, Michel est
pragmatique. L'urgence consiste à maintenir l'espèce en vie dans la
nature, en mettant au monde des petits ensuite rel?chés en liberté avec
leur mère. Ils doivent na?tre sur place, en Afrique, de mères sauvages
les éduquant à la vie sauvage. Car des créatures de laboratoire ne
survivent pas longtemps dans le bush. Mais voilà : personne ne sait
comment s'y prendre. Cela para?t simple, de faire des bébés ? Pas pour
le guépard.
L'éthologie du félin aux yeux d'ambre frangés d'une larme noire (une
particularité qui atténue la réverbération du soleil) reste mystérieuse.
Blagueur, hyperactif, un sourire à la Pierre Richard aux lèvres, Michel
a le don de rassembler les énergies. Le vétérinaire Jean-Yves Routier,
Alain Fontbonne, spécialiste international de la reproduction des
carnivores, et Quillaume Queney, généticien, fondent avec lui le Cresam
(Conservation et reproduction des espèces sauvages africaines menacées).
A la difficulté d'opérer au coeur de la brousse s'ajoutent des
problèmes inconnus des vétérinaires s'occupant de lions ou de
rhinocéros. D'abord, il s'agit de mettre la main sur des femelles
reproductrices et des m?les au sperme de qualité, la moitié d'entre eux
étant stériles. On recense soixante-dix animaux sur deux millions
d'hectares. Ensuite, après avoir vérifié que la dame n'est ni en chaleur
ni enceinte, on déclenche avec des implants les chaleurs, la
préovulation puis l'ovulation, trois jours et demi plus tard.