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2014-05-14 11:42:14

-Ah! pourquoi m'a-t-on fait revenir à la vie? murmura-t-il enfin, commese parlant tout bas à lui-même.... Mieux e?t valu mourir et ne jamaisrien savoir.L'arrivée de Mmes Verdier et Desmarennes vint à propos faire diversion àla scène douloureuse, et bient?t la conversation habituelle à voix bassereprit son allure générale autour du malade qui, dans sa prostration,semblait sommeiller, étranger désormais à tous les bruits du monde.
Le docteur, comme de coutume, revint dans la soirée, et fron?a lesourcil en interrogeant le pouls de son malade. Il constata de lafièvre, une vive agitation cérébrale, et recommanda expressément de lefaire moins causer le lendemain; même pas du tout, si faire se pouvait.--Pour une première fois, il aura beaucoup trop parlé, pensa-t-il.Quoi qu'il en f?t, les jours suivants, le calme parut se rétablirgraduellement, et gr?ce à de sages ordonnances, régulièrement exécutées,la convalescence marcha vite, la jeunesse reprit ses droits, et dans laquinzaine Henri Paulet put faire à pied sa première promenade.Ces premiers jours où il renaissait à la lumière et à la vie, au bord decette grande mer variant d'aspect à chaque heure, tant?t verte etblanche sous l'écume des lames, tant?t bleue comme un saphir et aplaniecomme un lac, ces premiers jours furent pour Henri Paulet une longuesérie d'enchantements.Bien qu'il n'e?t que trop clairement compris, aux paroles graves de sabelle-soeur, que tout espoir d'un amour partagé lui était absolumentinterdit, il n'en restait pas moins sous l'impression d'une joieprofonde, dont il ne se rendait pas compte et qu'il ne cherchait pas àanalyser.Il pouvait au moins voir Thérèse presque à chaque heure du jour; ilmarchait près d'elle, lui parlait, s'enivrait de sa voix et de sonregard, vivait dans l'air qu'elle respirait, et sentait parfois sonpetit bras nerveux et volontaire s'appuyer résolument sur le sien auxpassages difficiles creusés dans le roc ou dans les sables. Il tressaillait de tout son être au fr?lement de sa robe, ou quand sachevelure dénouée le frappait en plein visage dans un brusque soubresautdes rafales marines.Fils d'une blonde Norvégienne de Drontheim, morte en lui donnant la vie,ce fin gar?on, aux longs cheveux ambrés et à l'oeil vert de mer,réalisait sous le ciel du Midi un des types les plus purs des racesprimitives du pays des neiges. Sa mère lui avait, assurément, léguéquelque chose de sa gr?ce native et de sa fière beauté sauvage. Sonprofil presque droit, intelligent et grave, révélait à la fois énergieet douceur. Près de Thérèse, il cheminait à pas recueillis, comme dansun immense et lumineux décor de féerie. On e?t dit qu'il marchait dansun paradis terrestre.A la place de Thérèse, il e?t fallu être aveugle et sourde pour ne pass'apercevoir à chaque instant de cette muette et folle adoration, decette passion toute juvénile, si discrètement voilée dans son intensité.
Bien des femmes voisines de la trentaine, dans le charme souverain deleur beauté m?rissante, éprouvent une étrange douceur c?line à selaisser franchement idol?trer par un tout jeune homme aux impressionsneuves, dont le premier amour s'éveille comme un orage de printemps,dans un ciel de lumière et de parfums. Il n'en était pas ainsi deThérèse; c'était même bien différent pour elle. Non choquée assurément,mais toute surprise de cette brusque éclosion d'amour, elle en eutd'abord un frémissement douloureux, comme une espèce de commisérationmaternelle, à l'égard d'un enfant malade, inconscient et irresponsable;mais elle n'en fut pas émue plus que de raison pour son propre compte,et resta absolument étrangère à toute pensée d'amour. Dans son pauvrecoeur, encore tout meurtri de son deuil, une image inoubliable vivaitench?ssée profondément; aucune autre ne pouvait y pénétrer. Il n'y avaitpas deux ans qu'elle était veuve.Que de fois, dans le silence et l'obscurité des nuits, n'avait-elle paseu de chères et douloureuses apparitions, qui, de leurs sourcesprofondes, faisaient jaillir des torrents de larmes!Même longtemps après son réveil, elle croyait encore à la réalité de sesvisions trompeuses, et parfois refermait les paupières en essayant derenouer ses rêves.Quand le jour brumeux du matin éclairait, vaguement autour d'elle lesrideaux, les tapis et les meubles, tristement accoudée sur l'oreiller,elle avait peine à croire qu'elle était définitivement seule, ouvraittout grands ses yeux fixes et tendait l'oreille, se demandant si Georgesne reviendrait pas rouvrir sa porte et répéter ce cher petit nom deMésange qui remuait si délicieusement toutes les fibres de son coeur.

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