Et, au nom de la vérité, c'est une accusation qu'elle intente, devant le
genre humain, contre les lettres, les arts, les sciences et la société
même... Et ce n'est pas, comme on le dit, le scandale qui fut général,
c'est l'admiration et une sorte de terreur qui furent presque
universelles.Comment expliquer cela (à supposer que Garat n'exagère
point)?C'est qu'il y avait, dans ce premier livre de Rousseau, l'accent
et lestyle.
Il y avait l'accent de l'homme de lettres qui n'a pas réussi, du
maladequi n'est bien que dans la solitude, de l'homme timide qui a
souventsouffert dans les belles compagnies; l'accent de l'ancien
vagabond et duplébéien révolté; bref, l'accent d'un homme qui prend au
sérieux lelieu-commun auparavant inoffensif.--Au reste on peut dire que
presquetoute son oeuvre,--et c'est par là qu'elle a séduit la
bêtisehumaine,--est d'un homme de génie qui a pris, pour la première
fois,d'antiques plaisanteries ou fantaisies au sérieux.D'autre part, le
morceau assez banal où vibrait cet accent-là devaitêtre lu, d'abord,
justement par cette petite minorité de privilégiéspour laquelle la thèse
de Rousseau se trouvait être partiellement vraie.Et, en outre, il
s'élevait du premier coup contre quelques-unes desidoles les plus chères
à cette élite: la ?philosophie?, la science, quel'on commen?ait à
?adorer?, et la foi au progrès. Cette gravité et cettevéhémence de
sermonnaire devaient à la fois secouer et séduire des gensqui n'allaient
plus guère au sermon... De là le scandale et l'espèce deterreur dont parle Garat. (Tel, un peu,
le succès des premiers écritsévangéliques de Tolsto? dans les salons
parisiens.)Et puis il y avait le style. Il n'a pas encore toutes les
qualités quepossédera plus tard le style de Jean-Jacques. Mais il est
beau dans satension, il a le mouvement oratoire, la phrase fortement
rythmée. Ils'opposait, avec un air de nouveauté, au style court et fin
qui étaitalors le plus à la mode.--J'ajoute qu'on y trouve déjà les
apostrophes,l'abus de certains mots comme ?vertu? et ?nature?, l'emphase
et lafausse rudesse républicaine qui caractériseront si
f?cheusement,quarante ans plus tard, l'éloquence des jacobins et des
sans-culottes.
C'est Jean-Jacques qui a fourni à la Révolution son vocabulaire.Comment, dans la tête du fade versificateur de l'Engagement téméraire,s'était
secrètement formée cette prose-là, si pleine, si suivie, sirobuste, si
grave?Repassons, si vous le voulez, l'histoire des lectures de
l'autodidacteRousseau (je ne parle que de ses lectures fran?aises).A six
ans, il lisait avec son père l'Astrée et les romans de LaCalprenède.--A sept ans, Ovide et Fontenelle, mais aussi Plutarque, LaBruyère, Molière et le Discours sur l'Histoire universelle.--De
douzeà seize ans, tout un cabinet de lecture, au hasard.--Plus tard,
etsurtout aux Charmettes, en même temps qu'il apprend le latin, il lit
LeSage, l'abbé Prévost, les Lettres philosophiques de Voltaire, maisaussi (avec Locke et Leibnitz) les ouvrages de Messieurs de Port-Royal,Descartes Malebranche, etc..
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