, 147 Page 151 Le Comte de Monte-Cristo, Tome II Albert lui-même ne put se
défendre d'une émotion soudaine. On n'avait entendu ni voiture dans la rue, ni
pas dans l'antichambre ; la porte elle-même s'était ouverte sans bruit. Le comte
parut sur le seuil, vêtu avec la plus grande simplicité, mais le lion le plus
exigeant n'e?t rien trouvé à reprendre à sa toilette. Tout était d'un go?t
exquis, tout sortait des mains des plus élégants fournisseurs, habits, chapeau
et linge. Il paraissait ?gé de trente-cinq ans à peine, et, ce qui frappa tout
le monde, ce fut son extrême ressemblance avec le portrait qu'avait tracé de lui
Debray. Le comte s'avan?a en souriant au milieu du salon, et vint droit à
Albert, qui, marchant au-devant de lui, lui offrit la main avec empressement.
?L'exactitude, dit Monte-Cristo, est la politesse des rois, à ce qu'a prétendu,
je crois, un de nos souverains. Mais quelle que soit leur bonne volonté, elle n'est pas toujours
celle des voyageurs. Cependant j'espère, mon cher vicomte, que vous excuserez,
en faveur de ma bonne volonté, les deux ou trois secondes de retard que je crois
avoir mises à para?tre au rendez-vous. Cinq cents lieues ne se font pas sans
quelque contrariété, surtout en France, où il est défendu, à ce qu'il para?t, de
battre les postillons. -Monsieur le comte, répondit Albert, j'étais en train
d'annoncer votre visite à quelques-uns de mes amis que j'ai réunis à l'occasion
de la promesse que vous avez bien voulu me faire, et que j'ai l'honneur de vous
présenter. Ce sont M. le comte de Ch?teau-Renaud, dont la noblesse remonte aux
Douze pairs, et dont les ancêtres ont eu leur place à la Table Ronde ; M. Lucien
Debray, secrétaire particulier du ministre de l'intérieur ; M. , Beauchamp, terrible journaliste, l'effroi du
gouvernement fran?ais, mais dont peut-être, malgré sa célébrité nationale, vous
n'avez jamais entendu parler en Italie, attendu que son journal n'y entre pas ;
enfin M. Maximilien Morrel, capitaine de spahis.? ? ce nom, le comte, qui avait
jusque-là salué courtoisement, mais avec une froideur et une impassibilité tout
anglaises, fit malgré lui un pas en avant, et un léger ton de vermillon passa
comme l'éclair sur ses joues p?les. ?Monsieur porte l'uniforme des nouveaux
vainqueurs fran?ais, dit-il, c'est un bel uniforme.? IX. Les convives. 148 Page
152 Le Comte de Monte-Cristo, Tome II On n'e?t pas pu dire quel était le
sentiment qui donnait à la voix du comte une si profonde vibration et qui
faisait briller, comme malgré lui, son oeil si beau, si calme et si limpide,
quand il n'avait point un motif quelconque pour le voiler.