Il est en fait à mi-chemin entre le livre d’érudition et le livre de
grande vulgarisation, à destination des étudiants ou des
non-spécialistes, comme si l’auteur avait voulu faire immédiatement
partager son savoir avec le public le plus large possible et injecter
dans la vulgate universitaire les résultats de la recherche la plus
pointue.17 Puissants et Misérables propose en outre une bibliographie
exhaustive et parfaitement à jour de plus de 1 000 titres, ce qui en
fait un outil de travail de premier ordre. Il propose également un choix
de sources. L’auteur, qui a multiplié les exemples précis dans des
encadrés extrêmement précieux, livre les clefs de sa fabrique en mettant
en liste les sources qu’il a consultées. L’ampleur des lectures et
l’importance des dépouillements sont véritablement impressionnants et
l’on trouvera là un répertoire parfaitement bien fait, susceptible de
donner des idées aux plus curieux.18 L’auteur nous fait parcourir, au
long des 600 pages de son ouvrage, un itinéraire profondément original
et parfaitement ma?trisé. Ce sont d’abord les problématiques et les
méthodes qui, ici, importent.
Jean-Pierre Devroey pratique en effet une histoire nourrie de
sociologie et d’anthropologie qui permet à des analyses novatrices de se
formaliser. Les références intellectuelles qu’il revendique vont très
au-delà du champ disciplinaire habituel et entretiennent un dialogue
constant avec les grands textes de la sociologie, qu’il s’agisse de
celle du Max Weber de économie et Société ou de celle de Henri Mendras,
de celle de Simmel ou de celle de Goffmann. J.-P. Devroey, qui a une
double culture d’historien et de sociologue, établit de la sorte un
dialogue constant avec les autres sciences humaines, ne limitant pas
leur intervention à un cannibalisme de concepts ou au détournement de
portions de théories, mais interrogeant et utilisant leurs méthodes afin
d’accro?tre la pertinence de son propre propos. On en trouvera divers
exemples, mais l’un des plus éclatants me semble se trouver dans les
pages 131 à 144 consacrées aux liens d’homme à homme qui ne sont pas
limités, même s’ils sont dominés par la relation vassalique. L’auteur y
montre l’homologie entre vassalité et parenté ainsi que la multiplicité
des réseaux dans lesquels s’insèrent les hommes du haut Moyen ?ge et
parvient à dépasser le juridisme dans lequel l’analyse a trop longtemps
stagné, en insistant sur le thème de la construction des hiérarchies. Mais la relation vassalique n’absorbe pas toutxA0;: J.-P. Devroey
insiste aussi sur d’autres formes d’association, hiérarchiques ou non.
Ainsi, l’amitié doit-elle être comptée comme un facteur puissant
d’agrégation ou de groupementxA0;; de même, les formes d’association
paysanne, le convivium ne doivent pas être négligées, non plus que les
guildes, ni, dans un autre registre, les compagnonnages d’armes. Il y a
là de fort belles pages, et importantes sur la complexité des sociétés
du haut Moyen ?ge.19 La construction du livre est redoutablement
efficace. Il est divisé en trois partiesxA0;: 1.
Des outils pour penser le système social. 2. L’inventaire des
distinctions. 3. Les paysans dans l’ordre domanial.20 La société du haut
Moyen ?ge est un tout, que l’auteur pense dans une continuité à partir
du vie siècle et jusqu’au ixe siècle. Du point de vue chronologique, la
césure avec la période de l’Antiquité est totale, d’une part, dès le vie
siècle et la période carolingienne ne constitue pas une période xA0;en
soixA0; qui justifierait une mise à part.