suite?:36 L’élargissement du premier
échantillon à l’ensemble des registres de recensement militaire de la
période 1856-1860 montre la fiabilité du sondage effectué sur les seuls
registres de 1859-1860?: la différence dans les statures moyennes est
infime. Il prouve aussi qu’il y avait bien une faiblesse en ce qui
concerne les populations chanvrières, faiblesse due aux conditions de
travail, supportées dès le plus jeune age. Les données sur
l’alphabétisation indiquent qu’une moindre stature moyenne des conscrits
était corrélée à un défaut de ma?trise de l’écrit chez les pères. Or,
le taux d’analphabétisme chez les pères, conséquence de la précocité de
leur propre mise au travail, est resté élevé tant que l’économie duale a
régné, puis résisté contre l’inéluctable. En revanche, l’économie duale
a été contemporaine d’une hausse de la consommation de produits
alimentaires de standing supérieur (vin – en pays non viticole?; et
viandes)?; c’est la crise et la disparition de cette économie qui ont
entra?né un recul de plus en plus net de ces mêmes consommations.37 Au
total, il a pu être mesuré que les choix sociaux des Alen?onnais ont
bien pesé sur leur biologie, d’une génération à l’autre.
Formule ambivalente, l’économie duale a eu des effets biologiques
ambivalents, sinon contradictoires, sans qu’ultérieurement les séquelles
de la désindustrialisation soient à ce point rapidement soldées
qu’elles aient permis une amélioration physique totalement
incontestable. En 1914, Alen?on est une ville entrée dans la modernité
en ayant plus ou moins contourné l’étape de la mécanisation
industrielle, mais c’est une ville socialement bien plus contrastée
qu’au milieu du XIXe siècle, où la ségrégation spatiale et la distance
sociale ont progressé?: des conditions médiocrement optimales pour
entra?ner cette hausse rapide des statures que l’on pouvait attendre du
renouvellement de l’économie et de la population.Statistique des
déterminants économiques et socio-professionnels?: DunkerqueTab. 13 Gens
de mer de Dunkerque. Temps moyen passé à bord de navires comme mousse
puis (à l’age de 16 ans) comme novice38 Grace à la richesse des archives
de l’Inscription Maritime, nous avons des renseignements précis sur les
débuts de carrière des intéressés. Le premier échantillon fut marqué
par le système traditionnel d’un temps très long passé dans la situation
?d’apprenti?. Le deuxième échantillon, commen?ant la navigation à un
moment (années 1860) où se mettait vraiment en branle la modernisation
des activités maritimes en général et du port de Dunkerque en
particulier, a vu son temps d’apprentissage diminuer, essentiellement
parce que les activités du commerce, à la voile et surtout à la vapeur,
alors en plein développement, recrutaient moins jeune.
sac vanessa bruno bleu 39 Pourtant, le troisième échantillon, qui aurait d? bénéficier sinon
d’un approfondissement, du moins d’une stabilisation de l’évolution
précédente, a subi une régression?: le temps d’apprentissage est remonté
à son niveau ?traditionnel?, et, en conséquence, l’age moyen au premier
embarquement a chuté, atteignant un niveau très faible à la petite
pêche, sans préjudice d’une réduction concomitante au commerce (pourtant
de plus en plus mécanisé). Cela est d’autant plus étrange que l’age
légal était en principe, à cette époque, de 13 ans révolus. En fait, des
dispenses étaient possibles, si le maire de la commune attestait qu’un
minimum de scolarité avait été suivi?: ce devait être vraiment un
minimum, sachant que l’embarquement ne permettait guère un éventuel
complément ultérieur de formation scolaire. Incontestablement, cela
fermait à la plupart des intéressés, ceux précisément entrés très t?t
dans les activités les plus traditionnelles, la possibilité d’accéder à
une école d’hydrographie pour y préparer un brevet d’officier, de pont
ou de machine. Ce n’est pas non plus sans quelque effroi que l’on
constate une chute de presque deux ans dans l’age du premier
embarquement à la grande pêche?: il y avait à la Belle époque, à bord
des goélettes qui partaient plusieurs mois dans les durs parages
d’Islande, des mousses qui avaient, en moyenne, 14 ans… Tab. 14 Gens de
mer de Dunkerque. ?ge moyen lors du premier embarquement40 Les causes de
ces évolutions en matière d’age doivent être recherchées dans
l’histoire des choix faits par la population des gens de mer dunkerquois
en matière de configuration d’activités et de stratégie moyenne de
carrière.
Ces choix se donnent à voir quand on prend la peine de suivre le
déroulement de la vie professionnelle des hommes des trois échantillons
retenus, en fonction des divers types de navigation et d’emploi à bord,
et en comparaison, autant que possible, avec la ventilation des mousses
entre ces mêmes types?:Tab. 15 Gens de mer de Dunkerque. Types de
navigation employant les hommes aux ages de 20 et 40 ans (%) – Hommes du
panel 141 Le modèle des hommes du premier échantillon, qui ont atteint
la quarantaine vers 1880, au moment où, globalement, le monde maritime a
basculé de fa?on décisive dans l’age industriel, est un modèle qui
repose fondamentalement sur la grande pêche?: après s’être fait la main
très jeune à la petite pêche, presque tout le monde passe ses années les
plus vigoureuses aux campagnes à la morue, dures mais rémunératrices
pour qui sait manier la ligne de fa?on productive. Certains persistent
encore à l’age de quarante ans, mais les autres se replient sur la
petite pêche ou, le plus souvent sur le cabotage à voile qui, ayant bien
su faire face à la concurrence de la vapeur, présente l’avantage d’être
plus rémunérateur que l’activité halieutique c?tière. Celle-ci est une
dernière ressource, celle des ?hors service? ayant dépassé l’age de 50
ans et souhaitant (ou contraints de) travailler encore.42 Ce modèle
initial a fait place, comme le montre l’analyse des deux échantillons
suivants, à un modèle où la grande pêche s’efface peu à peu, pour être
remplacée par d’autres moyens d’accumuler des surplus financiers, en vue
du maintien d’un fort noyau d’activités traditionnelles c?tières. Le
deuxième échantillon, qui a atteint la quarantaine au début de la
Première guerre mondiale, avait commencé, en son jeune age, en se
répartissant à peu près équitablement entre la pêche c?tière, le
commerce à voile (plut?t au long cours d’ailleurs, début de l’ère des
windjammers oblige) et le cabotage à vapeur, très actif à Dunkerque à la
fin du XIXe siècle.