suite.Une crèche remarquable à l’Exposition d’Art sacré à Rome en 1950 2
Lors de l’Année Sainte de 1950, se tient à Rome la seconde exposition
internationale d’,art sacré, provenant des missions. Quand on demande
aux missionnaires d’envoyer des spécimens du travail artistique de leur
atelier pour cette exposition, les responsables de l’atelier, ou, en
termes d’histoire de l’art, les commanditaires, choisissent des modèles
de tissage, de travail du cuir, de broderie et de travail de perles,
ainsi que de sculpture sur bois, tous réalisés par des artistes locaux
qui produisent dans l’atelier d’Oye-Ekiti[2][2] Kevin Carroll, Yoruba
Religious Carving, Pagan and Christian...
suite. Parmi ces objets, on remarque surtout une ,crèche, groupe de
statuettes de dévotion chrétienne traditionnelle qui, dans le cas
présent, inclut la Sainte Famille et les Trois Rois, ou Mages (Figure 1
et 2 dans le cahier photographique en couleurs). Les crèches produites
par l’atelier reflètent d’anciennes pratiques artistiques locales de la
région d’Ekiti, croisées avec de nouvelles idées européennes, en vue
d’un emploi à usage religieux catholique au Nigeria. Ces crèches
impliquent beaucoup d’investissement en temps et en énergie créatrice,
et elles sont le résultat d’une longue recherche menée par les artistes
et leurs ,commanditaires,. Ces crèches envoyées à Rome en 1950 et 1951
ont fait intervenir des artisans spécialisés dans la sculpture sur bois,
le travail des perles et la broderie, le travail du cuir, et le
tissage, elles témoignent du souci qu’avaient les missionnaires de
chercher comment adapter les formes d’art yoruba pour communiquer des
idées chrétiennes à un public africain. Parallèlement, ces pièces
montrent le désir qu’avaient les artistes de s’appliquer à exprimer les
attentes innovantes des missionnaires, en recourant à des
représentations agréables qui s’inspirent des formes traditionnelles
yoruba.Figure 1Figure 1Figure 2Figure 23 à la fois dans leur costume et
dans leurs traits, les Trois Rois apparaissent comme des oba, des rois
yoruba. La Sainte Famille présente une identité culturelle beaucoup moins
nette, qui tranche avec celle des Mages par sa couleur de peau plus
claire, et des vêtements sculptés et peints (c’est-à-dire non textiles)
dans la tradition européenne de la Sainte Famille (Fig. 3 dans le cahier
photographique en couleurs). Mais leurs traits physiques paraissent
tout à fait compatibles avec une identité africaine, sauf lorsqu’ils
sont groupés tout à cté des Mages à la peau sombre. Dans son article
publié en 1950 dans le Nigeria Magazine, qui a répandu les premières
photos du résultat obtenu par le croisement entre le yoruba et le
chrétien effectué dans l’atelier, le directeur de facto de l’atelier,
qui fut toute sa vie promoteur de l’art yoruba, le Père Kevin Carroll,
refuse même catégoriquement à la Sainte Famille une identité africaine
symbolique. ,Elle [Marie] n’est pas représentée comme une Africaine,
parce que chacun sait qu’elle n’était pas une Africaine mais une
Juive[3][3] Kevin Carroll, ,Yoruba Craft Work at Oye-Ekiti, Ondo...
suite., S’efforant peut-être, après coup, d’empêcher l’inévitable
critique, Carroll semble barrer la route à cette inévitable
interprétation africaine de la Sainte Famille. Peut-être anticipait-il, à
bon droit, une forte réaction négative à l’image d’un Jésus et d’une
Marie à peau noire, ou encore ne voulait-il sans doute pas voir, ou du
moins pas admettre au début, la voie d’africanisation que l’expérience
artistique était en train de prendre. Dix-sept ans après, en 1967, le
Père Carroll, racontant encore des anecdotes destinées à illustrer le
regard vigilant des ,commanditaires, et leur insistance pour que les
artistes, dans leur uvre, suivent bien les détails bibliques au pied de
la lettre, montre, dans ses commentaires personnels, une acceptation
pleinement sereine d’un Jésus et d’une Marie africanisés dans l’art
yoruba-chrétien qu’il continuait à susciter et à promouvoir[4][4] K.
Carroll, (1967), p. 73. .