Dans le même temps, la clientèle a changé et l’on est passé d’un
tourisme social (groupes organisés financés par les comités
d’entreprise) à un tourisme individuel ou familial s’adressant à des
agences de tourisme dans les grandes villes. 38 Mais que ce soit en
Russie ou en Géorgie, il faudra de la patience avant que ce secteur ne
comble les v?ux quelque peu irréalistes des dirigeants régionaux. Le
tourisme craint les situations de tension et, dans plusieurs régions, la
sécurité n’est pas assurée (Svanétie, Daghestan, Ossétie, sans parler
de la Tchétchénie, où ces activités étaient peu représentées). Par
ailleurs, le retard d’infrastructures tant routières que techniques
(remontées mécaniques, refuges, etc.) demeure énorme par rapport aux
pays européens, et le nombre de sites équipés très modeste au regard de
l’ampleur de la cha?ne. Une agriculture vivace sous les pressions 39
L’agriculture de montagne (en dehors des bas versants et du Daghestan,
il s’agit surtout du pastoralisme) reste incontestablement la principale
activité au Caucase, occupant la grande majorité des actifs. Il para?t
périlleux de tenter d’en dresser un tableau chiffré.
On truquait les statistiques de cheptel à l’époque soviétique pour
dissimuler une partie du bétail privé (voir note 10). Aujourd’hui, alors
que l’essentiel des activités est privé même si des structures
coopératives, au moins en Russie, sont formellement maintenues, la
réalité des chiffres reste incertaine, chacun s’effor?ant de dissimuler
ses revenus réels. 40 Aussi, les observations qu’on peut faire sur le
terrain semblent paradoxales. Officiellement, l’élevage au Caucase nord,
comme dans toute la Russie, est en chute librexA0;: selon les sources
officielles, le cheptel ovin y est passé de 12,5 millions de têtes en
1991 (région de Rostov exclue) à 5,5 en 1998, les bovins passant dans le
même temps de 4,8 à 2,7 millions. L’absence de financement pour les
investissements techniques, le renchérissement du matériel, du
carburant, des transports lui ont porté de rudes coups. Mais il faut
admettre que les populations du sud de l’ex-URSS, et c’est certainement
le cas au Caucase, vivent depuis longtemps en dehors des logiques
strictement économiques, dans des conditions de précarité, de
sous-équipement peu dignes d’un état industriel moderne mais qui
expliquent bien des contradictions. En dehors de quelques régions
réellement déstructurées par les conflits (Tchétchénie, Ossétie du Sud)
ou par des cataclysmes naturels (coulées de neige et de boue qui ont
atteint de vieux villages en haute Svanétie), les paysans caucasiens
font le gros dosxA0;: face aux incertitudes économiques et politiques,
ils ont réduit leurs activités, se réfugiant souvent dans
l’autoconsommation familiale et ne produisant de surplus que s’ils en
ont la vente.
Sac longchamp pliable week end Or leurs productions (viande, fromages de montagne, laine, etc.)
trouvent toujours un certain marché si l’on peut résoudre les questions
de transport. 41 Aussi la montagne caucasienne démontre-t-elle une
résistance remarquable dans cette période difficile. Les éleveurs de
Kazbegui, privés de leur trajet de transhumance traditionnel vers le
Daghestan, ont abandonné les ovins pour se reconvertir presque
entièrement à l’élevage bovin (de fait, ils possédaient toujours
quelques vaches pour leur consommation de lait). Ailleurs (Daghestan,
Géorgie), des entrepreneurs avisés, soutenus par les édiles locaux, ont
commencé à investir dans de petites unités de production de conserves,
de laitages plus élaborés et moins périssables que les fromages
traditionnels. S’il est difficile de la mesurer financièrement, cette
résistance relative est illustrée par un fait d’observation évidentxA0;:
dans de nombreux villages, les paysans ont procédé dans la dernière
période à d’importants travaux d’agrandissement et d’embellissement de
leurs maisons. Mieux même, dans plusieurs vallées bien accessibles, on
signale l’arrivée de nouveaux 160;fermiers160; privés qui entendent bien
tenter leur chance afin de profiter des mesures de privatisation des
terres (la loi russe a finalement été votée en juin 2002) et de
libéralisation du secteur.
L’évolution de la population semble bien corroborer cette analyse. Que
reste-t-il des montagnardsxA0;? 42 La question des montagnards au
Caucase mérite d’être posée sur deux plans tout à fait différents. Le
premier est classiquexA0;: l’évaluation du nombre d’habitants des
régions de montagne et la description de leurs activités. Mais depuis
quelques années, cette analyse géographique banale se double d’un tout
autre questionnement concernant les 160;peuples montagnards du
Caucase160; et leurs spécificités. On rejoint là la problématique du
déterminisme évoquée plus hautxA0;: en Russie surtout, mais ces idées
sont aussi courantes au Sud-Caucase, toute une mythologie se rapporte à
ces populations, faite d’images véhiculées depuis le XIXe siècle (on
cite souvent les écrits de Lermontov ou de Tolsto?), mêlant dans une
même fascination des traits positifs (sens de l’honneur, hospitalité,
entraide) aux plus négatifs (aptitude au banditisme, cruauté, absence de
scrupule). Cette mythologie récurrente s’est vue considérablement
renforcée dans cette période de tensions et de guerres où ont resurgi
des tentatives analogues à celle de la fin de la période tsariste de
constituer une 160;république des montagnards160;. Une population en
hausse légère mais plus concentrée 43 à moins que les résultats du
recensement d’octobre 2002 en Russie n’infirment totalement les
estimations annuelles effectuées depuis celui de 1989, la population du
Grand Caucase russe (sans la Tchétchénie ni l’Ingouchie, où l’on manque
de données fiables) est avec plus de 700 000 habitants en 1998 en légère
haussexA0;: + 5% pour l’ensemble du versant nord (nous retiendrons
l’avis du professeur V.