Il y a cependant des indications supplémentaires in texto entre
crochets, qui font d’ailleurs souvent double emploi avec les notes ou
évoquent des éléments assez secondaires. Les annotations ne sont pas
toutes du même niveau de précision?: certaines expliquent et apportent
de réels éclairages à la compréhension du manuscrit original. D’autres
ne servent qu’à souligner certaines phrases de Prion. Ceci s’explique
sans doute parce que de nombreuses allusions, en général non dénuées
d’ironie, souvent misogyne, ne sont pas explicites pour le lecteur
actuel, et même probablement pour tout contemporain du siècle des
Lumières qui ne serait pas familier des ?potins? intrinsèques au
microcosme local. Jean-Marc Roger a en tout cas le mérite de fournir de
nombreuses orientations bibliographiques, à jour et de qualité, au
lecteur souhaitant approfondir telle ou telle question. Les faits
rapportés par Prion sont en effet mis en relation avec une multitude
d’ouvrages et d’articles sur l’histoire des environs d’Aubais, anciens
comme ceux de Léon Ménard ou très récents comme ceux d’Anny Herrmann ou
de Jean-Marc Roger lui-même. Ceci témoigne de l’existence aujourd’hui
d’un groupe de chercheurs très actifs dans l’étude de la Vaunage à
l’époque moderne, dont certains préparent d’ailleurs la publication
d’autres textes de Pierre Prion.
4 Le livre de raison de Prion?consiste en un texte assez volumineux
(plus de 230 pages, correspondant à environ 250 folios de manuscrit),
d’une quantité cependant très inégale selon les années, avec même des
interruptions dans la rédaction durant plusieurs semaines ou mois, et
quelques passages lacunaires. Il mêle aux événements locaux toutes
sortes de digressions sur la nature, l’astronomie, la géographie, etc.
Il en ressort que Prion s’informe par ses observations au quotidien,
mais aussi par les voyages qu’il a effectués jusqu’en 1739, ainsi que
par de nombreuses lectures. Par conséquent, il peut apporter des
renseignements sur des événements qui se sont déroulés assez loin?: les
hauts faits militaires de l’armée fran?aise, les nouvelles de la famille
royale, un séisme en Espagne, ou des faits divers sordides dans les
villes proches. Si son propos est centré sur Aubais, il fournit aussi
beaucoup d’indications sur les villages voisins où Prion a des contacts,
notamment Gallargues, Le Cailar, Junas ou Aigues-Vives.5 D’abord,
Pierre Prion décrit la maison familiale, autour de Charles de Baschi
(1686-1777), marquis d’Aubais, dont la vie se partage entre Paris et le
Languedoc, de son épouse, et de leurs quatre enfants survivants?: un
fils, Jean-Fran?ois de Baschi, marquis du Cayla, et trois filles.
L’essentiel des revenus du marquis proviennent de ses fermages,
métayages et faire-valoir direct aux environs d’Aubais et en Camargue,
mais bien peu des censives, ce qui est typique d’une France méridionale
assez ?déféodalisée?. Parmi le personnel, on est fréquemment congédié, peu d’individus
s’enracinent?: Prion est donc une exception avec son extraordinaire
longévité au service du marquis. Il peut ainsi dresser la liste des gens
qu’il c?toie plus ou moins longtemps au chateau. Il raconte les
rapports entre les personnes, les conflits au sein de la domesticité du
chateau. Très précis, il évoque des banquets, des vols, et jusqu’à la
diarrhée du marquis en juillet 1752?!6 Prion s’intéresse aussi au groupe
villageois, dont il documente les m?urs. Il mentionne une multitude
d’actes de malveillance et délinquance à l’égard du bétail et des
récoltes du seigneur ou des particuliers. Il apporte des indications sur
la justice où les spécialistes de l’histoire des crimes et délits
trouveront des allusions relatives à l’infra-judiciaire. Les
divertissements apparaissent régulièrement, comme par exemple une
ferrade, des danses au son du hautbois ou des paris autour des
formidables parties de jeu de ballon.
La turbulence de la jeunesse se manifeste à travers les charivaris. Sur
le plan religieux, le marquis et son épouse, d’ascendance huguenote,
faisant preuve d’un catholicisme mou, l’hérésie est tolérée dans les
villages qui composent leur marquisat. Les assemblées du désert se
multiplient en ce milieu du xviiie siècle. Des huguenots provoquent
régulièrement les autorités?; ils se font inhumer dans leur jardin.
Aussi, la Vaunage est-elle marquée par la présence de régiments préposés
à leur surveillance, et à la répression. En effet, la crainte d’une
nouvelle guerre des Camisards est vive chez les catholiques, d’autant
plus, rappelons-le, que celle du début du xviiie siècle n’avait pas
touché seulement les Cévennes mais aussi les régions de plaine autour de
Nimes. C’est d’ailleurs dans ce contexte que se produit la visite de
l’évêque de Nimes en septembre 1748, laquelle, pour une fois, ne nous
est pas connue seulement du c?té épiscopal mais également, grace à
Prion, dans ses rapports avec la communauté villageoise.
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