Qu'on n'y voie aucune coquetterie de ? bobo ?, mais plut?t le désir de
se consacrer entièrement à son art, depuis 1981, l'année où il a à la
fois abandonné la capitale et le journalisme, son métier. On lui doit
une petite vingtaine d'ouvrages éclectiques, parmi lesquels on retiendra
Tristesse de la Balance et autres signes, un livre inclassable sur
l'astrologie, un récit-portrait du grand Jacques Higelin, et quelques
romans nostalgiques et autobiographiques, servis par une écriture d'une
élégance rare, et un humour tout en finesse. Pour quelques centaines de
happy few, Jacques A. Bertrand est un auteur culte. C'est bien, mais pas
suffisant. Avec La Course du chevau-léger, une vraie fiction, il va
peut-être toucher un plus large public.Le chevau-léger, c'est Jérémie,
un ancien ingénieur, amateur de pensées pseudo-philosophiques (énoncer
des sentences morales, qu'il ne comprend pas toujours lui-même, c'est
son péché mignon) et de havanes, qui, poussé par l'urgence (on apprendra
que la mort le presse), se lance à la recherche de la jeune femme dont
la photographie ne quitte pas son portefeuille.
C'est sa fille Magdalena, une tendre rebelle dont il a perdu la trace
depuis quelque temps. Au fil d'un périple tranquille, avec étapes
gastronomiques, il va suivre son itinéraire chaotique en France, en
Suisse, au Portugal, et jusqu'en Tha?lande, où elle travaille pour une
ONG qui soigne les enfants des tribus hmongs au nord du pays, non loin
de la frontière birmane. C'est là que vont se dérouler leurs ultimes
retrouvailles, empreintes de tendresse, de pudeur et d'humour. Et
Jérémie pourra ? se laisser aller à la danse des pachydermes ?, puis
gagner ce cimetière des éléphants si joliment chanté par Eddy Mitchell.
Rien d'étonnant à cela, Jacques A. Bertrand aime la chanson (à Annecy,
la gagneuse que rencontre Jérémie s'appelle forcément Barbara) et
l'Asie : il a même étudié un peu le mongol et le japonais à l'Inalco !La
Course du chevau-léger est un livre tout en douceur, et Jérémie, qui
ironise sur ses ? jérémiades ?, un personnage attendrissant qu'on
n'oubliera pas de sit?t.? S'il n'y avait plus aucun mystère à tenter
d'éclaircir, déclare-t-il à un moment, la vie serait absolument sans
intérêt. Nous mourrions tous de désespoir. ? Le chevau-léger garde pas mal de
son mystère, et son auteur aussi. Jusqu'à son prochain roman ?QU'ON
CROIE en Dieu ou qu'on n'y croie pas, quiconque se penche un peu
sérieusement sur l'expérience mystique ne peut nier son ? poids de
réel ? ni ce qu'elle a d'irréductible à tout autre phénomène psychique.
C'est la conclusion à laquelle est parvenue Catherine Millot, écrivain
et psychanalyste lacanienne, dont le dernier essai retrace le parcours
intérieur de Jeanne Guyon au XVIIe siècle, Simone Weil et Etty Hillesum
au XXe, jusqu'à ce qu'elles accèdent à ? la vie parfaite ?. L'auteur
décrit alors l'état où cela les plongea : sentiment de ? vastitude ? lié
à l'évanouissement de l'ego, état d'amoureuse indifférence, liberté
dans la soumission à ce qui advient, fragilité indestructible et joyeuse
gravité, ? toutes dans le divin et toutes dans le naturel ?. En somme
des ? oxymores ? vivantes..
.Catherine Millot a une prédilection pour les marginaux de génie. Dans
un précédent ouvrage sur Gide, Genet et Mishima, elle avait étudié
comment la perversion peut transformer la souffrance en jouissance ; un
processus psychique qui para?t comparable à celui des mystiques, mais
qui s'avère totalement divergent. Un autre de ses livres, Ab?mes
ordinaires, raconte qu'elle connut, elle-même, dès sa jeunesse et en
dehors de toute référence religieuse, des états de ? vide béatifique ?
(selon la formule de Michaux) qui creusèrent en elle une insatiable
curiosité pour les écrits mystiques.Si bien que son dernier essai n'est
pas la psychanalyse rétrospective de trois énergumènes, mais une
tentative empathique de traduire dans une langue contemporaine et
accessible ce que ces trois femmes, ses ? ?mies ? comme elle les
appelle, ont vécu.Pas toujours facile à suivre, en effet, ces saintes,
scandaleuses à leur fa?on. Pourtant, sous la bonne conduite de Catherine
Millot, on parvient à comprendre, sinon à admettre, l'affirmation
inou?e de Simone Weil : ? L'inflexible nécessité, la misère, la
détresse, le poids écrasant du besoin et du travail qui épuise, la
cruauté, les tortures, la mort violente, la contrainte, la terreur, les
maladies - tout cela, c'est l'amour divin.
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