Nous voilà très émus, nous voulons visiter la synagogue. Elle est
fermée. On sonne. Le rabbin passe la tête et dit : ?La synagoga e chiusa
!? S'il nous avait parlé en yiddish, quelle aurait été notre émotion !
Mais là, ces quelques mots en italien pour nous congédier, avec cet air
de guignol sorti de sa bo?te, c'était comme une trahison. ?a cassait la
fêlure. Notre fêlure ! On s'est regardés, Serge et moi. On était en
train de pleurer. Alors,
on a éclaté de rire. Et puis on est allés se prendre une cuite
mémorable ! INTOL?RANCE ET DISCRIMINATIONLe rapport sur ?le
respect effectif des droits de l'homme en France?, présenté le 15
février dernier par le commissaire européen Alvaro Gil-Robles au nom du
Conseil de l'Europe, vient de déclencher une de ces vagues de masochisme
national dont nous avons le secret. Ce rapport dénonce, au même moment
que la Cour des Comptes et le Conseil économique et social, la
dégradation et le surpeuplement de certaines prisons, dont il faut noter
que ce sont surtout les lieux d'incarcération provisoire, maisons
d'arrêt, zones d'attente et locaux de garde à vue. Mais M. Gil-Robles ne
s'arrête pas là : il généralise, et plaque sur la patrie des droits de
l'homme une grille de lecture idéologique qui en fait quasiment la
patrie du non-droit. L'idéologie qui l'anime, vieille comme le marxisme,
privilégie de fa?on systématique les facteurs sociaux dans
l'explication des délits et de la violence criminelle. Sans doute entre
l'exclusion et la criminalité le rapport est-il évident. Mais ce n'est qu'une corrélation et, dans un nombre croissant de cas,
rendre la condition sociale responsable du crime est prendre l'effet
pour la cause. M. Gil-Robles explique ainsi par les discriminations dont
elles seraient victimes les violences des minorités ethniques et
religieuses, en ignorant leur objectif affiché de saper les fondements
de notre démocratie. Si on le suivait, il faudrait expliquer le meurtre
d'Ilan Halimi, supplicié et retrouvé mourant près d'une voie ferrée de
Sainte-Geneviève-des-Bois, par l'incompréhension des employeurs et des
bo?tes de nuit. Ce jeune homme, on a mis du temps à nous le dire, a été
torturé parce qu'il était juif, et parce que, à défaut de sa famille,
les ?synagogues? étaient censées avoir les moyens de payer sa ran?on. Ce
crime perpétré au nom du djihad nous rappelle que le combat contre
l'obscurantisme est au moins aussi nécessaire que la lutte contre les
discriminations. Nous en sommes arrivés, au nom des droits de l'homme, à
un point tel que tout effort de lutte contre le fanatisme religieux est
considéré comme une discrimination. On
vient de le vérifier dans l'affaire des caricatures : comment
distinguer entre la foi et le fanatisme quand les représentants des
cultes eux-mêmes - en l'occurrence le CFCM - ne se désolidarisent des
fondamentalistes que du bout des lèvres, et quand il est trop tard ? La
force du modèle la?que fran?ais est d'avoir compris la nécessité de
tenir, le plus possible, les passions religieuses en dehors de l'espace
public. L'opinion de M. Gil-Robles est au contraire que les cultes
doivent remplir un r?le majeur dans les politiques de cohésion sociale
et dans l'éducation à la tolérance. Force est de constater que c'est
cette opinion, dominante en Europe et de plus en plus influente en
France, qui a conduit au meurtre de Theo Van Gogh aux Pays-Bas, aux
attentats de Madrid et de Londres, et qui pousse en Grande-Bretagne les
communautés musulmanes à se constituer en bantoustans. Le 2
mars prochain, cela fera exactement quinze ans que Serge aura disparu.
Il me manque. Je pense souvent à lui.