Finalement, n'est-ce pas rassurant ? Comme un fleuve indompté Il y a
quelques années, à la question : pourquoi écrivez-vous ? Jim Harrison
avait répondu : ?J'écris comme un acte de culte envers les créatures,
les paysages, les idées que j'admire ; pour commémorer les morts, pour
créer de nouvelles femmes à aimer (...) J'écris pour continuer à être un
fleuve inexploré.? (1)Depuis 1981 et Légendes d'automne, publiées chez
Robert Laffont à l'instigation de Serge Lentz, le natif du Michigan nous
enchante avec sa prose généreuse et sensuelle, son humour désespéré,
son appétit gargantuesque pour les belles et bonnes choses de la vie, sa
poésie étrange et intense.On aime Harrison car il est, sans doute, le
seul écrivain américain capable, dans une même tirade, de célébrer les
charmes de la nature, les ar?mes d'un vin, la folie géniale de Joyce ou
de Dosto?evski et la foudroyante beauté d'un corps féminin.
Il faudrait sans doute y ajouter les joies du sport, les bonheurs de
l'art, les errances du cinéma hollywoodien, mais la place nous
manquerait.Harrison, c'est la tête et les jambes. Faulkner et Hemingway.
Une tête de Viking, visage buriné, lacéré de rides, oeil borgne, dents
du bonheur, sur un corps massif, porté par des jambes de grand marcheur,
de nombreuses fois brisées, rafistolées, aujourd'hui un peu moins
performantes, soulagées par une canne.Harrison est cet ours qui a choisi
sa solitude au milieu des bois, des rivières, hier du Michigan,
aujourd'hui du Montana, où tout ce qui l'entoure le nourrit, au propre
comme au figuré. Cet ours a aussi besoin des autres. Pas pour qu'ils le
caressent dans le sens du poil. ?a n'est pas vraiment le genre du bonhomme. Mais il aime partager des
instants rares ou juste de bons moments. Il a ce point commun, et
beaucoup d'autres, avec James Crumley. Par exemple, l'un et l'autre ont
créé un personnage de fiction qu'ils aiment, tout autant que leurs
lecteurs, retrouver régulièrement.En lisant L'été où il faillit mourir,
cinquième recueil de ?novellas? (longs récits ou courts romans) et
quatrième apparition de Chien Brun, personnage découvert dans La Femme
aux lucioles puis dans Julip et En route vers l'ouest (2), on pense
aussit?t au C. W. Sughrue de Crumley.
Il y a chez les deux hommes cette douce folie, cet anarchisme
chronique, qui peuvent accoucher du meilleur comme du pire, surtout dans
le cas de Sughrue. Moments burlesques et scènes touchantesChien Brun,
lui, s'est quelque peu assagi. Par la force des choses, puisqu'il est en
liberté conditionnelle. Rose, son amour contrarié d'enfance, est en
prison. Alors, avec le vieux Delmore, Indien Chippewa radin et grognon,
qui se prend pour son oncle alors que Chien Brun a peu de sang indien
dans les veines, il s'occupe des gamins de Rose, Red et Baie.Cette
dernière, handicapée mentale car victime du ?syndrome foetal
alcoolique?, est comme un petit animal, gracile, fragile, à qui il tient
plus qu'à la prunelle de ses yeux. Le jour où l'?tat veut l'envoyer
dans un centre spécialisé, loin de cette péninsule Nord du Michigan où
tous vivent comme une vraie famille, sans beaucoup de moyens, Chien Brun
fourbit ses armes.