Au IXe
siècle, beaucoup de seigneurs, ne sachant lire ni écrire,apprenaient
tant bien que mal à camper un grossier dessin, qui leurservait à signer
les actes importants. Ils parvenaient plus facilement,en effet, à créer
avec la plume telle forme familière à leur vue que lefroid assemblage de
lettres composant leur nom. Si pauvre qu'il f?t, lecroquis identifiait,
mieux encore que ne l'e?t fait un fragmentd'écriture, la main
exécutrice. Choisis par ces illettrés à blason queguidaient leurs go?ts
respectifs, les sujets de vignettes variaient àl'infini: personnages,
bêtes ou choses concernant la guerre ou lavénerie, les arts, les
sciences ou la nature. Tel sujet, une fois adoptépuis officiellement
enregistré, constituait à jamais pour toute lafamille du seigneur en
jeu, dans la suite des générations, une typiquesignature que les filles
conservaient immuable au-delà dumariage--chaque membre se distinguant
par son faire personnel dansl'accomplissement du dessin, dont le tracé,
même s'il savait écrire, luiétait imposé au bas de tous les actes
marquants, auxquels l'appositionde son nom d?ment paraphé n'e?t octroyé
aucune valeur.Plus tard, l'usage de l'écriture se généralisant peu à
peu, les famillesen cause, à diverses époques obtinrent chacune la
suppression de sonseing spécial; certaines, fort rares--notamment celle
des Mendebourg,que le cas en question concernait--étaient pourvues
encore du leur auXIIe siècle.Or le lointain Mendebourg illettré auquel
on devait le choix du sujet devignette brillait, entre tous, comme
cavalier hors ligne rempli degracieuse ma?trise en selle--et, fort
petit, ne mon tait jamais quecertains chevaux moyens de race anglaise
déjà nommés _cobs_ de sontemps.
D'emblée, sa préférence, pour l'adoption d'une signature,
s'étaitportée sur le type de ses montures favorites. Roland, après
tantd'autres Mendebourg, ne pouvait donc valider un acte qu'en dessinant
uncob au-dessous du texte.Ce détail était connu de Quentin, qui voulait
transformer à son profitla précieuse feuille volée en une donation
entièrement autographe desbiens globaux de Roland, car il savait qu'en
justice une écritureétrangère e?t servi de base à de dangereuses
plaidoiries invoquant unabus de blanc-seing.Le valet acheta, moyennant
la moitié des futurs bénéfices, le concoursd'un certain Ruscassier, chef
d'un groupe de maraudeurs qui depuis peusaccageaient le pays. Il
s'agissait de capturer Roland, qui faisaitchaque jour, en lisant quelque
ouvrage de science, une solitairepromenade en forêt, puis de l'amener,
par un subterfuge, à écrire enbonne place le texte convoité. On e?t pu
tenter, même sans le volpréalable, de s'emparer ainsi de lui pour le
contraindre, sous menace detorture et de mort, à rédiger l'acte voulu en
signant de son cob; mais,sachant que Roland e?t enduré supplices et
trépas plut?t que de ruinerses enfants en abandonnant tous ses biens,
Quentin avait tenu à user deruse.Le cob du blanc-seing se trouvait juste
sous le milieu de la feuille,que Quentin plia en deux de fa?on très
coupante, afin de fixer ensuitel'une contre l'autre, avec une colle
transparente, les deux moitiéshaute et basse du verso. L'ensemble offrait, dès lors, l'aspect d'une épaisse et courte
feuillesimple, sur le vierge c?té bien offert de laquelle, pour sauver
sa vie,Roland écrirait docilement, en le signant de son nom, un acte
qu'ilcroirait nul. En séparant ensuite avec une lame les deux
partiescollées, facilement lavables, on aurait, en redressant le
parchemin, unepièce en règle, gr?ce au cob favorablement situé--pièce
dont Roland,proverbialement plein de scrupuleuse loyauté, ne songerait
pas uninstant, Quentin en était s?r, à contester la valeur.Appréhendé au
cours d'une de ses studieuses marches sous bois, Rolandfut conduit au
campement des maraudeurs. Quentin se garda de para?tre,car le captif,
songeant qu'un de ses familiers ne pouvait ignorer laparticularité du
cob, e?t, en le voyant, flairé le piège véritable.S'adressant à Roland
en le nommant, Ruscassier lui donna le choix entrela mort et l'immédiate
autoruine, désignant le fameux parchemin, préparéavec une écritoire sur
un ballot servant de table.Comme on s'y attendait, le prisonnier, pour
avoir la vie sauve, subitsans peine des exigences qu'il jugeait sans
portée réelle et,s'agenouillant devant le ballot, se dit prêt à
écrire.Sur une injonction précise, dont Quentin était l'instigateur,
Roland,qui, ayant des enfants, ne pouvait légalement faire abandon de
sesrichesses, reconnut, par cédule, devoir à Ruscassier huit cent
millelivres, somme représentant, selon des dires autorisés, la totalité
deson avoir.
D'avance, dans un écrit en bonne forme, Ruscassier avaitdéclaré que
Quentin possédait moitié de la créance.Roland signa son nom au bas de
l'acte, en tête duquel, guetté parRuscassier, il avait d?, pour se
soumettre à une catégoriqueprescription de la loi, tracer, en manière de
titre, le mot ?Cédule?.Après avoir juré, par contrainte, qu'il
s'abstiendrait du moindre essaide représailles contre les auteurs du
complot, Roland recouvra saliberté.Le lendemain, assis à sa table de
travail, il annotait un de ses auteursscientifiques préférés, lorsqu'on
lui annon?a Ruscassier. Introduit surson ordre, celui-ci réclama son d?,
en parlant de la cédule qu'il tenaità la main.Roland voulut, pour
prendre une innocente revanche, faire avec quelquemoquerie à son
oppresseur de la veille, dont il escomptait joyeusementla déconvenue,
les révélations concernant le cob traditionnel.Continuant ses
annotations sans même tourner la tête vers Ruscassier,qui, debout devant
la porte refermée, se trouvait juste à sa droite, ildit
ironiquement:?Vraiment.
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