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2013-11-18 15:25:12

Au IXe siècle, beaucoup de seigneurs, ne sachant lire ni écrire,apprenaient tant bien que mal à camper un grossier dessin, qui leurservait à signer les actes importants. Ils parvenaient plus facilement,en effet, à créer avec la plume telle forme familière à leur vue que lefroid assemblage de lettres composant leur nom. Si pauvre qu'il f?t, lecroquis identifiait, mieux encore que ne l'e?t fait un fragmentd'écriture, la main exécutrice. Choisis par ces illettrés à blason queguidaient leurs go?ts respectifs, les sujets de vignettes variaient àl'infini: personnages, bêtes ou choses concernant la guerre ou lavénerie, les arts, les sciences ou la nature. Tel sujet, une fois adoptépuis officiellement enregistré, constituait à jamais pour toute lafamille du seigneur en jeu, dans la suite des générations, une typiquesignature que les filles conservaient immuable au-delà dumariage--chaque membre se distinguant par son faire personnel dansl'accomplissement du dessin, dont le tracé, même s'il savait écrire, luiétait imposé au bas de tous les actes marquants, auxquels l'appositionde son nom d?ment paraphé n'e?t octroyé aucune valeur.Plus tard, l'usage de l'écriture se généralisant peu à peu, les famillesen cause, à diverses époques obtinrent chacune la suppression de sonseing spécial; certaines, fort rares--notamment celle des Mendebourg,que le cas en question concernait--étaient pourvues encore du leur auXIIe siècle.Or le lointain Mendebourg illettré auquel on devait le choix du sujet devignette brillait, entre tous, comme cavalier hors ligne rempli degracieuse ma?trise en selle--et, fort petit, ne mon tait jamais quecertains chevaux moyens de race anglaise déjà nommés _cobs_ de sontemps.
D'emblée, sa préférence, pour l'adoption d'une signature, s'étaitportée sur le type de ses montures favorites. Roland, après tantd'autres Mendebourg, ne pouvait donc valider un acte qu'en dessinant uncob au-dessous du texte.Ce détail était connu de Quentin, qui voulait transformer à son profitla précieuse feuille volée en une donation entièrement autographe desbiens globaux de Roland, car il savait qu'en justice une écritureétrangère e?t servi de base à de dangereuses plaidoiries invoquant unabus de blanc-seing.Le valet acheta, moyennant la moitié des futurs bénéfices, le concoursd'un certain Ruscassier, chef d'un groupe de maraudeurs qui depuis peusaccageaient le pays. Il s'agissait de capturer Roland, qui faisaitchaque jour, en lisant quelque ouvrage de science, une solitairepromenade en forêt, puis de l'amener, par un subterfuge, à écrire enbonne place le texte convoité. On e?t pu tenter, même sans le volpréalable, de s'emparer ainsi de lui pour le contraindre, sous menace detorture et de mort, à rédiger l'acte voulu en signant de son cob; mais,sachant que Roland e?t enduré supplices et trépas plut?t que de ruinerses enfants en abandonnant tous ses biens, Quentin avait tenu à user deruse.Le cob du blanc-seing se trouvait juste sous le milieu de la feuille,que Quentin plia en deux de fa?on très coupante, afin de fixer ensuitel'une contre l'autre, avec une colle transparente, les deux moitiéshaute et basse du verso. L'ensemble offrait, dès lors, l'aspect d'une épaisse et courte feuillesimple, sur le vierge c?té bien offert de laquelle, pour sauver sa vie,Roland écrirait docilement, en le signant de son nom, un acte qu'ilcroirait nul. En séparant ensuite avec une lame les deux partiescollées, facilement lavables, on aurait, en redressant le parchemin, unepièce en règle, gr?ce au cob favorablement situé--pièce dont Roland,proverbialement plein de scrupuleuse loyauté, ne songerait pas uninstant, Quentin en était s?r, à contester la valeur.Appréhendé au cours d'une de ses studieuses marches sous bois, Rolandfut conduit au campement des maraudeurs. Quentin se garda de para?tre,car le captif, songeant qu'un de ses familiers ne pouvait ignorer laparticularité du cob, e?t, en le voyant, flairé le piège véritable.S'adressant à Roland en le nommant, Ruscassier lui donna le choix entrela mort et l'immédiate autoruine, désignant le fameux parchemin, préparéavec une écritoire sur un ballot servant de table.Comme on s'y attendait, le prisonnier, pour avoir la vie sauve, subitsans peine des exigences qu'il jugeait sans portée réelle et,s'agenouillant devant le ballot, se dit prêt à écrire.Sur une injonction précise, dont Quentin était l'instigateur, Roland,qui, ayant des enfants, ne pouvait légalement faire abandon de sesrichesses, reconnut, par cédule, devoir à Ruscassier huit cent millelivres, somme représentant, selon des dires autorisés, la totalité deson avoir.
D'avance, dans un écrit en bonne forme, Ruscassier avaitdéclaré que Quentin possédait moitié de la créance.Roland signa son nom au bas de l'acte, en tête duquel, guetté parRuscassier, il avait d?, pour se soumettre à une catégoriqueprescription de la loi, tracer, en manière de titre, le mot ?Cédule?.Après avoir juré, par contrainte, qu'il s'abstiendrait du moindre essaide représailles contre les auteurs du complot, Roland recouvra saliberté.Le lendemain, assis à sa table de travail, il annotait un de ses auteursscientifiques préférés, lorsqu'on lui annon?a Ruscassier. Introduit surson ordre, celui-ci réclama son d?, en parlant de la cédule qu'il tenaità la main.Roland voulut, pour prendre une innocente revanche, faire avec quelquemoquerie à son oppresseur de la veille, dont il escomptait joyeusementla déconvenue, les révélations concernant le cob traditionnel.Continuant ses annotations sans même tourner la tête vers Ruscassier,qui, debout devant la porte refermée, se trouvait juste à sa droite, ildit ironiquement:?Vraiment.
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