, Ah ! c'est vous, d'Alen?on dit Charles, soyez le bienvenu, et venez voir le
plus beau livre de vénerie qui soit jamais sorti de la plume d'un homme. Le
premier mouvement de d'Alen?on fut d'arracher le livre des mains de son frère ;
mais une pensée infernale le cloua à sa place, un sourire effrayant passa sur
ses lèvres blêmies, il passa la main sur ses yeux comme un homme ébloui. Puis
revenant un peu à lui, mais sans faire un pas en avant ni en arrière : Sire,
demanda d'Alen?on, comment donc ce livre se trouve-t-il dans les mains de Votre
Majesté Rien de plus simple. Ce matin, je suis monté chez Henriot pour voir s'il
était prêt ; il n'était déjà plus chez lui : sans doute il courait les chenils
et XVIII-Le livre de vénerie 168 Page 173 La Reine Margot - Tome II les écuries
; mais, à sa place, j'ai trouvé ce trésor que j'ai descendu ici pour le lire
tout à mon aise. Et le roi porta encore une fois son pouce à ses lèvres, et une
fois encore fit tourner la page rebelle. Sire, balbutia d'Alen?on dont les
cheveux se hérissèrent et qui se sentit saisir par tout le corps d'une angoisse
terrible ; Sire, je venais pour vous dire Laissez-moi achever ce chapitre,
Fran?ois, dit Charles, et ensuite vous me direz tout ce que vous voudrez. Voilà
cinquante pages que je lis, c'est à dire que je dévore. Il a go?té vingt-cinq fois le poison, pensa Fran?ois. Mon frère est mort ! Alors
il pensa qu'il y avait un Dieu au ciel qui n'était peut-être point le hasard.
Fran?ois essuya de sa main tremblante la froide rosée qui dégouttait sur son
front, et attendit silencieux, comme le lui avait ordonné son frère, que le
chapitre f?t achevé. XVIII-Le livre de vénerie 169 Page 174 XIX-La chasse au vol
Charles lisait toujours. Dans sa curiosité, il dévorait les pages ; et chaque
page, nous l'avons dit, soit à cause de l'humidité à laquelle elles avaient été
longtemps exposées, soit pour tout autre motif, adhérait à la page suivante.
D'Alen?on considérait d'un il hagard ce terrible spectacle dont il entrevoyait
seul le dénouement. Oh ! murmura-t-il, que va-t-il donc se passer ici Comment !
je partirais, je m'exilerais, j'irais chercher un tr?ne imaginaire, tandis que
Henri, à la première nouvelle de la maladie de Charles, reviendrait dans quelque
ville forte à vingt lieues de la capitale, guettant cette proie que le hasard
nous livre, et pourrait d'une seule enjambée être dans la capitale ; de sorte
qu'avant que le roi de Pologne e?t seulement appris la nouvelle de la mort de
mon frère, la dynastie serait déjà changée : c'est impossible ! C'étaient ces
pensées qui avaient dominé le premier sentiment d'horreur involontaire qui
poussait Fran?ois à arrêter Charles. , C'était cette fatalité persévérante qui semblait garder Henri et
poursuivre les Valois, contre laquelle le duc allait encore essayer une fois de
réagir. En un instant tout son plan venait de changer à l'égard de Henri.
C'était Charles et non Henri qui avait lu le livre empoisonné ; Henri devait
partir, mais partir condamné. Du moment où la fatalité venait de le sauver
encore une fois, il fallait que Henri rest?t ; car Henri était moins à craindre
prisonnier à Vincennes ou à la Bastille, que le roi de Navarre à la tête de
trente mille hommes. Le duc d'Alen?on laissa donc Charles achever son chapitre ;
et lorsque le roi releva la tête : Mon frère, lui dit-il, j'ai attendu parce que
Votre Majesté l'a ordonné, mais c'était à mon grand regret, parce que j'avais
des choses de la plus haute importance à vous dire. Ah ! au diable ! dit
Charles, dont les joues p?les s'empourpraient peu à peu, soit qu'il e?t mis une
trop grande ardeur à sa lecture, soit que le poison commen??t à agir ; au diable
! si tu viens encore me parler de la même chose, tu partiras comme est parti le
roi de Pologne. Je me suis débarrassé XIX-La chasse au vol 170 Page 175 La Reine
Margot - Tome II de lui, je me débarrasserai de toi, et plus un mot là-dessus.