Et vous, peuple romain, qui venez de reprendrevos droits légitimes,
rappelez-vous quel sang coule dans vos veines ! Jetez les yeux sur les monuments
de gloire qui vous environnent, reprenez les vertusde vos pères, montrez-vous
dignes de votre antique splendeur, et prouvez à l'Europe qu'il est encore des
?mes qui n'ont point dégénéré des vertus de vosancêtres ! Pendant trois jours,
on avait illuminé Rome, tiré des feux d'artifice, planté des arbres de la
Liberté, dansé, chanté, crié : ?Vive laRépublique !? autour XI - LE G?N?RAL
CHAMPIONNET.. 108 Page 112.La San-Felice, Tome I de ces arbres ; mais
l'enthousiasme avait été de courte durée. Dixjours après le discours de
Berthier, qui, outre l'allocution aux m?nes de Caton et d'Hortensius, contenait
la promesse d'un respect inviolable pour lesrevenus et les richesses de
l'?glise, on avait, par l'ordre du Directoire, porté à la Monnaie les trésors de
cette même ?glise pour y être fondus,transformés en pièces d'or et d'argent, non
pas à l'effigie de la république romaine, mais à celle de la république
fran?aise, et versés dans les caisses,les uns disaient du Luxembourg et les
autres de l'armée : ceux qui disaient dans les caisses de l'armée étaient en
minorité, et en minorité encore plusgrande ceux qui le croyaient. Puis on avait
mis en vente les biens nationaux, et, comme le Directoire avait un pressant
besoin d'argent pour l'arméed'?gypte, disait-il, ces biens avaient été vendus en
toute h?te et à un prix fort au-dessous de leur valeur. Alors, des appels en
argent et en natureavaient été faits aux riches propriétaires, qui, malgré leur
patriotisme, auquel les exigences réitérées du gouvernement fran?ais avaient,
nous devonsl'avouer, porté une rude atteinte, avaient été bient?t mis à sec. Il en
résultait que, malgré les sacrifices faits par les classes riches de la
société,les besoins du Directoire se renouvelant sans cesse, aucune des dépenses
les plus indispensables n'avait pu être acquittée, et que la solde des
troupesnationales, les appointements des fonctionnaires publics, présentaient,
au bout de trois mois, un arriéré qui datait du jour même où la république avait
été proclamée. Les ouvriers, ne recevant plus de salaires, et, d'ailleurs, on le
sait, n'étant pas énormément enclins d'eux-mêmes au travail, ils avaient,chacun
de leur c?té, abandonné leurs travaux et s'étaient faits, les uns mendiants, les
autres bandits. Quant aux autorités, qui eussent d?, dans leursfonctions, donner
l'exemple d'une intégrité lacédémonienne, comme elles ne recevaient pas un sou,
elles étaient devenues encore plus vénales et encoreplus voleuses qu'auparavant.
La magistrature de l'annone, chargée de la nourriture du peuple, institution de
la vieille Rome des empereurs qui s'étaitmaintenue à travers la Rome des papes,
n'ayant pu, avec du papier-monnaie discrédité, faire les approvisionnements
nécessaires, et manquant de farine,d'huile, de viande, déclarait qu'elle ne
savait plus quel remède opposer à la famine ; si XI - LE G?N?RAL CHAMPIONNET..
109 Page 113.La San-Felice, Tome Ibien que, quand Championnet arriva, on se
disait tout bas qu'il n'y avait plus à Rome que pour trois jours de vivres, et
que, si le roi de Naples et sonarmée n'arrivaient pas bien vite pour chasser les
Fran?ais, rétablir le saint-père sur son tr?ne et rendre l'abondance au peuple,
on allait se trouverincessamment dans l'alternative de se manger les uns les
autres, ou de mourir de faim. , Voilà ce que Salvato était chargé d'annoncer d'abord aux
patriotesnapolitains ; c'était la misérable situation de la république romaine,
situation à laquelle on allait essayer de faire face à force d'économie
etd'honnêteté. Pour commencer, Championnet avait chassé de Rome tous les agents
du fisc et avait pris sur lui d'appliquer aux besoins de la ville et del'armée
tous les envois d'argent, de quelque part qu'ils vinssent, qui se faisaient au
Directoire. Maintenant, voici ce que Salvato avait à ajouterrelativement à la
situation de l'armée fran?aise, qui n'était guère plus florissante que celle de
la république romaine : L'armée de Rome, dontChampionnet venait de prendre le
commandement et qui, sur les cadres qu'il avait re?us du Directoire, se montait
à trente-deux mille hommes, était de huitmille hommes en réalité. Ces huit mille
hommes, qui, depuis trois mois, n'avaient pas re?u un sou de solde, manquaient
de chaussures, d'habits, de pain,et étaient comme enveloppés par l'armée du roi
de Naples, se composant de 60,000 hommes, bien vêtus, bien chaussés, bien
nourris et payés chaque jour.Pour toutes munitions, l'armée fran?aise avait cent
quatre-vingt mille cartouches ; c'était quinze coups de fusil à tirer par homme.
Aucune place n'étaitapprovisionnée, nous ne dirons pas de vivres, mais de
poudre, et la pénurie était telle, qu'on en avait manqué à Civita-Vecchia pour
tirer sur un b?timentbarbaresque qui était venu capturer une barque de pêcheur à
demi-portée de canon du fort. On n'avait en tout que neuf bouches à feu.