A peine furent-ils arrivés, que, selon les règles des étiquettes royales, qui
veulent que, partout où les rois sont, les rois soient chez eux, on annon?a que
Leurs Majestés étaient servies. Nelson fut placé en face du roi, entre la reine
Marie-Caroline et lady Hamilton. Comme cet Apicius qui, lui aussi, habitait
Naples, à qui Tibère renvoyait de Caprée les turbots trop gros et trop chers
pour lui, et qui se tua lorsqu'il ne lui resta plus que quelques millions, sous
prétexte que ce n'était plus la peine de vivre quand on était ruiné, sir William
Hamilton, mettant ur les broderies d'or et d'argent et en rejaillissant en feux
de mille couleurs des plaques, des ordres, des croix en diamants qui
chamarraient leur poitrine, semblait envelopper les illustres convives dans
cette auréole qui, aux yeux des peuples esclaves, fait des rois, des reines, des
princes, des courtisans, des grands de la terre enfin, une race de demi-dieux et
de créatures supérieures et privilégiées. A chaque service, un toast était
porté, et le roi Ferdinand lui-même avait donné l'exemple en portant le premier
toast au règne glorieux, à la prospérité sans nuages et à la longue vie de son
bien-aimé cousin et auguste allié George III, roi d'Angleterre. La reine, contre
tous les usages, avait porté la santé de Nelson, libérateur de l'Italie ;
suivant son exemple, Emma Lyonna avait bu au héros du Nil, puis, passant à
Nelson le verre où elle avait trempé sa lèvre, changé le vin IV - LA F?TE DE LA
PEUR. .50 Page 54.La San-Felice, Tome I en flammes ; et, à chaque toast, des
hourras frénétiques, des applaudissements à faire crouler la salle, avaient
éclaté. On atteignit ainsi le dessert dans un enthousiasme croissant, qu'une
circonstance inattendue porta jusqu'au délire. Au moment où les quatre-vingts
convives n'attendaient plus, pour se lever de table, que le signal que devait
donner le roi en se levant lui-même, le roi se leva en effet, et son exemple fut
suivi ; mais le roi debout demeura à sa place. Aussit?t, ce chant si grave, si
large, si profondément mélancolique, commandé par Louis XIV à Lulli pour faire
honneur à Jacques II, l'exilé de Windsor, l'h?te royal de Saint-Germain, le Got
le chant terminé, lorsqu'une voix pure, sonore, vibrante commen?a ce couplet,
ajouté pour la circonstance, et dont le mérite était plus dans l'intention qui
l'avait dicté que dans la valeur des vers : Joignons-nous, pour fêter la gloire
Du favori de la Victoire, Des Fran?ais l'effroi ! Des Pharaons l'antique terre
Chante avec la noble Angleterre, De Nelson orgueilleuse mère : ?Dieu sauve le
roi !? ; (Traduction littérale.
sac longchamp pliage
cuir, ) Ces vers, si médiocres qu'ils fussent, avaient fait pousser une
acclamation universelle, qui allait encore s'accro?tre en se répétant, quand
tout à coup les voix s'éteignirent sur les lèvres des convives, et les yeux
effarés se tournèrent vers la porte, comme si le spectre de Banquo ou la statue
du Commandeur venait d'appara?tre au seuil de la salle du festin. Un homme de
haute taille et au visage mena?ant était debout dans l'encadrement de la porte,
vêtu de ce sévère et magnifique costume républicain, dont on ne perdait pas le
moindre détail, inondé qu'il était de lumière. Il portait l'habit bleu à larges
revers, le gilet rouge brodé d'or, le pantalon collant blanc, les bottes à
retroussis ; il avait la main gauche IV - LA F?TE DE LA PEUR..51 Page 55.La
San-Felice, Tome I appuyée à la poignée de son sabre, la main droite enfoncée
dans sa poitrine, et, impardonnable insolence, la tête couverte de son chapeau à
trois cornes, sur lequel flottait le panache tricolore, emblème de cette
Révolution qui a élevé le peuple à la hauteur du tr?ne et abaissé les rois au
niveau de l'échafaud. C'était l'ambassadeur de France, ce même Garat qui, au nom
de la Convention nationale, avait lu, au Temple, la sentence de mort à Louis
XVI.