, Le duc d'Alen?on tressaillit : en tout temps il avait tremblé devant Charles ;
et à bien plus forte raison encore depuis qu'il s'était fait, en conspirant, des
motifs de le craindre. Il ne s'en rendit pas moins près de son frère avec un
empressement calculé. Charles était debout et sifflait entre ses dents un
hallali sur pied. En entrant, le duc d'Alen?on surprit dans l'il vitreux de
Charles un de ces regards envenimés de haine qu'il connaissait si bien. Votre
Majesté m'a fait demander, me voici, Sire, dit-il. Que désire de moi Votre
Majesté Je désire vous dire, mon bon frère, que, pour récompenser cette grande
amitié que vous me portez, je suis décidé à faire aujourd'hui pour vous la chose
que vous désirez le plus. Pour moi Oui, pour vous. Cherchez dans votre esprit quelle chose vous rêvez depuis quelque
temps sans oser me la demander, et cette chose, je vous la donne. Sire, dit
Fran?ois, j'en jure à mon frère, je ne désire que la continuation de la bonne
santé du roi. Alors vous devez être satisfait, d'Alen?on ; l'indisposition que
j'ai éprouvée à l'époque de l'arrivée des Polonais est passée. J'ai échappé,
gr?ce à Henriot, à un sanglier furieux qui voulait me découdre, et je me porte
de fa?on à n'avoir rien à envier au mieux portant de mon royaume ; vous pouviez
donc sans être mauvais frère désirer autre chose que la continuation de ma
santé, qui est excellente. Je ne désirais rien, Sire. Si fait, si fait,
Fran?ois, reprit Charles s'impatientant ; vous désirez la XVII-Deux têtes pour
une couronne 150 Page 155 La Reine Margot - Tome II couronne de Navarre, puisque
vous vous êtes entendu avec Henriot et de Mouy : avec le premier pour qu'il y
renon??t, avec le second pour qu'il vous la f?t avoir. Eh bien, Henriot y
renonce ! de Mouy m'a transmis votre demande, et cette couronne que vous
ambitionnez Eh bien demanda d'Alen?on d'une voix tremblante. , Eh bien, mort-diable ! elle est à vous. D'Alen?on p?lit affreusement
; puis tout à coup le sang appelé à son cur, qu'il faillit briser, reflua vers
les extrémités, et une rougeur ardente lui br?la les joues ; la faveur que lui
faisait le roi le désespérait en un pareil moment. Mais, Sire, reprit-il tout en
palpitant d'émotion et cherchant vainement à se remettre, je n'ai rien désiré et
surtout rien demandé de pareil. C'est possible, dit le roi, car vous êtes fort
discret, mon frère ; mais on a désiré, on a demandé pour vous, mon frère. Sire,
je vous jure que jamais Ne jurez pas Dieu. Mais, Sire, vous m'exilez donc Vous
appelez ?a un exil, Fran?ois Peste ! vous êtes difficile Qu'espériez-vous donc
de mieux D'Alen?on se mordit les lèvres de désespoir. Ma foi ! continua Charles
en affectant la bonhomie, je vous croyais moins populaire, Fran?ois, et surtout
moins près des huguenots ; mais ils vous demandent, il faut bien que je m'avoue
à moi-même que je me trompais.