C'était un coupé sortant des ateliers de Keller, et un attelage dont Drake
avait, à la connaissance de tous les lions de Paris, refusé la veille encore
dix-huit mille francs. ?Monsieur, dit le comte à Albert, je ne vous propose pas
de m'accompagner jusque chez moi, et je ne pourrais vous montrer qu'une maison
improvisée, et j'ai, vous le savez, sous le rapport des improvisations, une
réputation à ménager. Accordez-moi un jour et permettez-moi alors de vous
inviter. Je serai plus s?r de ne pas manquer aux lois de l'hospitalité. -Si vous
me demandez un jour, monsieur le comte, je suis tranquille, ce ne sera plus une
maison que vous me montrerez, ce sera un palais. Décidément, vous avez quelque
génie à votre disposition.-Ma foi, laissez-le croire, dit Monte-Cristo en
mettant le pied sur les degrés garnis de velours de son splendide équipage, cela
me fera quelque bien auprès des dames. ? Et il s'élan?a dans sa voiture, qui se referma derrière
lui, et partit au galop, mais pas si rapidement que le comte n'aper?ut le
mouvement imperceptible qui fit trembler le rideau du salon où il avait laissé
Mme de Morcerf. Lorsque Albert rentra chez sa mère, il trouva la comtesse au
boudoir, plongée dans un grand fauteuil de velours : toute la chambre, noyée
d'ombre, ne laissait apercevoir que la paillette étincelante attachée ?à et là
au ventre de quelque potiche ou à l'angle de quelque cadre d'or. Albert ne put
voir le visage de la comtesse perdu dans un nuage de gaze qu'elle avait roulée
autour de ses cheveux comme une auréole de vapeur ; mais il lui sembla que sa
voix était altérée : il distingua aussi, parmi les parfums des roses et des
héliotropes de la jardinière, la trace ?pre et mordante des sels de vinaigre ;
sur une des coupes ciselées de la cheminéeXLI. La présentation. 173Page 177Le
Comte de Monte-Cristo, Tome IIen effet, le flacon de la comtesse, sorti de sa
gaine de chagrin, attira l'attention inquiète du jeune homme. ?Souffrez-vous, ma
mère , s'écria-t-il en entrant et vous seriez-vous trouvée mal pendant mon
absence , -Moi , non pas, Albert ; mais, vous comprenez, ces roses, ces
tubéreuses et ces fleurs d'oranger dégagent pendant ces premières chaleurs,
auxquelles on n'est pas habitué, de si violents parfums.-Alors, ma mère, dit
Morcerf en portant la main à la sonnette, il faut les faire porter dans votre
antichambre. , Vous êtes vraiment indisposée ; déjà tant?t, quand
vous êtes entrée, vous étiez fort p?le. -J'étais p?le, dites-vous, Albert ,
-D'une p?leur qui vous sied à merveille, ma mère, mais qui ne nous a pas moins
effrayés pour cela, mon père et moi. -Votre père vous en a-t-il parlé , demanda
vivement Mercédès. -Non, madame, mais c'est à vous-même, souvenez-vous, qu'il a
fait cette observation. -Je ne me souviens pas?, dit la comtesse. Un valet entra
: il venait au bruit de la sonnette tirée par Albert. ?Portez ces fleurs dans
l'antichambre ou dans le cabinet de toilette, dit le vicomte ; elles font mal à
Mme la comtesse.