IX. Les convives. 150Page 154XL. Le déjeuner.Le comte, on se le rappelle, était
un sobre convive. Albert en fit la remarque en témoignant la crainte que, dès
son commencement, la vie parisienne ne dépl?t au voyageur par son c?té le plus
matériel, mais en même temps le plus nécessaire. ?Mon cher comte, dit-il, vous
me voyez atteint d'une crainte, c'est que la cuisine de la rue du Helder ne vous
plaise pas autant que celle de la place d'Espagne. J'aurais d? vous demander votre go?t et vous faire préparer
quelques plats à votre fantaisie. -Si vous me connaissiez davantage, monsieur,
répondit en souriant le comte, vous ne vous préoccuperiez pas d'un soin presque
humiliant pour un voyageur comme moi, qui a successivement vécu avec du macaroni
à Naples, de la polenta à Milan, de l'olla podrida à Valence, du pilau à
Constantinople, du karrick dans l'Inde, et des nids d'hirondelle dans la Chine.
Il n'y a pas de cuisine pour un cosmopolite comme moi. Je mange de tout et
partout, seulement je mange peu ; et aujourd'hui que vous me reprochez ma
sobriété, je suis dans mon jour d'appétit, car depuis hier matin je n'ai point
mangé. -Comment, depuis hier matin ! s'écrièrent les convives ; vous n'avez
point mangé depuis vingt-quatre heures , -Non, répondit Monte-Cristo ; j'avais
été obligé de m'écarter de ma route et de prendre des renseignements aux
environs de N?mes, de sorte que j'étais un peu en retard, et je n'ai pas voulu
m'arrêter. -Et vous avez mangé dans votre voiture , demanda Morcerf. -Non, j'ai
dormi comme cela m'arrive quand je m'ennuie sans avoir le courage de me
distraire, ou quand j'ai faim sans avoir envie de manger. , -Mais vous commandez donc au sommeil, monsieur
, demanda Morrel. -? peu près. -Vous avez une recette pour cela , -Infaillible.
-Voilà qui serait excellent pour nous autres Africains, qui n'avons pasXL. Le
déjeuner.151Page 155Le Comte de Monte-Cristo, Tome IItoujours de quoi manger, et
qui avons rarement de quoi boire, dit Morrel. -Oui, dit Monte-Cristo ;
malheureusement ma recette, excellente pour un homme comme moi, qui mène une vie
tout exceptionnelle, serait fort dangereuse appliquée à une armée, qui ne se
réveillerait plus quand on aurait besoin d'elle.
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