Je ne puis donc pas, en conscience, vous laisser mal parler de l'éloquence d'un
homme qui doit me dire un jour : ?Monsieur le vicomte, vous savez que je donne
deux millions à ma fille.? -Allons donc ! dit Beauchamp, ce mariage ne se fera
jamais. Le roi a pu le faire baron, il pourra le faire pair, mais il ne le fera
point gentilhomme, et le comte de Morcerf est une épée trop aristocratique pour
consentir, moyennant deux pauvres millions, à une mésalliance. Le vicomte de
Morcerf ne doit épouser qu'une marquise. -Deux millions ! c'est cependant joli !
reprit Morcerf. -C'est le capital social d'un thé?tre de boulevard ou d'un
chemin de fer du jardin des Plantes à la R?pée. -Laissez-le dire, Morcerf,
reprit nonchalamment Debray, et mariez-vous. Vous épousez l'étiquette d'un sac, n'est-ce pas , eh bien,
que vous importe ! mieux vaut alors sur cette étiquette un blason de moins et un
zéro de plus ; vous avez sept merlettes dans vos armes, vous en donnerez trois à
votre femme et il vous en restera encore quatre. C'est une de plus qu'a M. de
Guise, qui a failli être roi de France, et dont le cousin germain était empereur
d'Allemagne. -Ma foi, je crois que vous avez raison, Lucien, répondit
distraitement Albert. -Et certainement ! D'ailleurs tout millionnaire est noble
comme un b?tard, c'est-à-dire qu'il peut l'être. -Chut ! ne dites pas cela,
Debray, reprit en riant Beauchamp, car voici Ch?teau-Renaud qui, pour vous
guérir de votre manie de paradoxer, vousIX. Les convives. , 138Page 142Le Comte de Monte-Cristo, Tome IIpassera au
travers du corps l'épée de Renaud de Montauban, son ancêtre. -Il dérogerait
alors, répondit Lucien, car je suis vilain et très vilain. -Bon ! s'écria
Beauchamp, voilà le ministère qui chante du Béranger, où allons-nous, mon Dieu ,
-M. de Ch?teau-Renaud ! M. Maximilien Morrel ! dit le valet de chambre, en
annon?ant deux nouveaux convives. -Complets alors ! dit Beauchamp, et nous
allons déjeuner ; car, si je ne me trompe, vous n'attendiez plus que deux
personnes, Albert , -Morrel ! murmura Albert surpris ; Morrel ! qu'est-ce que
cela , ? Mais avant qu'il e?t achevé, M. de Ch?teau-Renaud, beau jeune homme de
trente ans, gentilhomme des pieds à la tête, c'est-à-dire avec la figure d'un
Guiche et l'esprit d'un Mortemart, avait pris Albert par la main :
?Permettez-moi, mon cher, lui dit-il, de vous présenter M.