128Page 132IX. Les convives.Dans cette maison de la rue du Helder, où Albert de
Morcerf avait donné rendez-vous, à Rome, au comte de Monte-Cristo, tout se
préparait dans la matinée du 21 mai pour faire honneur à la parole du jeune
homme. Albert de Morcerf habitait un pavillon situé à l'angle d'une grande cour
et faisant face à un autre b?timent destiné aux communs. Deux fenêtres de ce
pavillon seulement donnaient sur la rue, les autres étaient percées, trois sur
la cour et deux autres en retour sur le jardin. Entre cette cour et ce jardin
s'élevait, b?tie avec le mauvais go?t de l'architecture impériale, l'habitation
fashionable et vaste du comte et de la comtesse de Morcerf. Sur toute la largeur
de la propriété régnait, donnant sur la rue, un mur surmonté, de distance en
distance, de vases de fleurs, et coupé au milieu par une grande grille aux
lances dorées, qui servait aux entrées d'apparat ; une petite porte presque
accolée à la loge du concierge donnait passage aux gens de service ou aux
ma?tres entrant ou sortant à pied. On devinait, dans ce choix du pavillon destiné à
l'habitation d'Albert, la délicate prévoyance d'une mère qui, ne voulant pas se
séparer de son fils, avait cependant compris qu'un jeune homme de l'?ge du
vicomte avait besoin de sa liberté tout entière. On y reconnaissait aussi, d'un
autre c?té, nous devons le dire, l'intelligent égo?sme du jeune homme, épris de
cette vie libre et oisive, qui est celle des fils de famille, et qu'on lui
dorait comme à l'oiseau sa cage. Par les deux fenêtres donnant sur la rue,
Albert de Morcerf pouvait faire ses explorations au-dehors. La vue du dehors est
si nécessaire aux jeunes gens qui veulent toujours voir le monde traverser leur
horizon, cet horizon ne f?t-il que celui de la rue ! Puis son exploration faite,
si cette exploration paraissait mériter un examen plus approfondi, Albert de
Morcerf pouvait, pour se livrer à ses recherches, sortir par une petite porte
faisant pendant à celle que nous avons indiquée près de la loge du portier, et
qui mérite une mention particulière. C'était une petite porte qu'on e?t dit
oubliée de tout le monde depuis le jourIX. Les convives. 129Page 133Le Comte de
Monte-Cristo, Tome IIoù la maison avait été b?tie, et qu'on e?t cru condamnée à
tout jamais, tant elle semblait discrète et poudreuse, mais dont la serrure et
les gonds, soigneusement huilés, annon?aient une pratique mystérieuse et suivie. , Cette petite porte sournoise faisait concurrence aux deux autres
et se moquait du concierge, à la vigilance et à la juridiction duquel elle
échappait, s'ouvrant comme la fameuse porte de la caverne des Mille et une
Nuits, comme la Sésame enchantée d'Ali-Baba, au moyen de quelques mots
cabalistiques, ou de quelques grattements convenus, prononcés par les plus
douces voix ou opérés par les doigts les plus effilés du monde. Au bout d'un
corridor vaste et calme, auquel communiquait cette petite porte et qui faisait
antichambre, s'ouvrait, à droite, la salle à manger d'Albert donnant sur la
cour, et, à gauche, son petit salon donnant sur le jardin. Des massifs, des
plantes grimpantes s'élargissant en éventail devant les fenêtres, cachaient à la
cour et au jardin l'intérieur de ces deux pièces, les seules placées au
rez-de-chaussée comme elles l'étaient, où pussent pénétrer les regards
indiscrets. Au premier, ces deux pièces se répétaient, enrichies d'une
troisième, prise sur l'antichambre. Ces trois pièces étaient un salon, une
chambre à coucher et un boudoir. Le salon d'en bas n'était qu'une espèce de
divan algérien destiné aux fumeurs. Le boudoir du premier donnait dans la
chambre à coucher, et, par une porte invisible, communiquait avec l'escalier.