En attendant, mon cher Lucien, voici des cigares de contrebande, bien entendu ;
je vous engage à en go?ter et à inviter votre ministre à nous en vendre de
pareils, au lieu de ces espèces de feuilles de noyer qu'il condamne les bons
citoyens à fumer. -Peste ! je m'en garderais bien. Du moment où ils vous
viendraient du gouvernement vous n'en voudriez plus et les trouveriez
exécrables. D'ailleurs, cela ne regarde point l'intérieur, cela regarde les
finances : adressez-vous à M. Humann, section des contributions indirectes,
corridor A, n° 26. -En vérité, dit Albert, vous m'étonnez par l'étendue de vos
connaissances. Mais prenez donc un cigare ! -Ah ! cher vicomte, dit Lucien en
allumant un manille à une bougie rose br?lant dans un bougeoir de vermeil et en
se renversant sur le divan, ah ! cher vicomte, que vous êtes heureux de n'avoir
rien à faire ! En vérité, vous ne connaissez pas votre bonheur ! -Et que
feriez-vous donc, mon cher pacificateur de royaumes, reprit Morcerf avec une
légère ironie, si vous ne faisiez rien, Comment ! secrétaire particulier d'un
ministre, lancé à la fois dans la grande cabale européenne et dans les petites
intrigues de Paris ; ayant des rois, et, mieux que cela, des reines à protéger,
des partis à réunir, des élections à diriger ;faisant plus de votre cabinet avec
votre plume et votre télégraphe, que Napoléon ne faisait de ses champs de
bataille avec son épée et ses victoires ; possédant vingt-cinq mille livres de
rente en dehors de votre place. , Un cheval dont Ch?teau-Renaud vous a offert quatre
cents louis, et que vous n'avez pas voulu donner ; un tailleur qui ne vous
manque jamais un pantalon ; ayant l'Opéra, le Jockey-Club et le thé?tre des
Variétés, vous ne trouvez pas dans tout cela de quoi vous distraire, Eh bien,
soit, je vous distrairai, moi. -Comment cela, -En vous faisant faire une
connaissance nouvelle. -En homme ou en femme, -En homme. -Oh ! j'en connais déjà
beaucoup ! -Mais vous n'en connaissez pas comme celui dont je vous parle. IX.
Les convives. 135 Page 139 Le Comte de Monte-Cristo, Tome II -D'où vient-il
donc, du bout du monde, -De plus loin peut-être. -Ah diable ! j'espère qu'il n'apporte pas notre déjeuner, -Non,
soyez tranquille, notre déjeuner se confectionne dans les cuisines maternelles.
Mais vous avez donc faim, -Oui, je l'avoue, si humiliant que cela soit à dire.
Mais j'ai d?né hier chez M. de Villefort ; et avez-vous remarqué cela, cher ami,
on d?ne très mal chez tous ces gens du parquet ; on dirait toujours qu'ils ont
des remords. -Ah ! pardieu, dépréciez les d?ners des autres, avec cela qu'on
d?ne bien chez vos ministres. -Oui, mais nous n'invitons pas les gens comme il
faut, au moins ; et si nous n'étions pas obligés de faire les honneurs de notre
table à quelques croquants qui pensent et surtout qui votent bien, nous nous
garderions comme de la peste de d?ner chez nous, je vous prie de croire. -Alors,
mon cher, prenez un second verre de xérès et un autre biscuit.