Maximilien. 185, Page 190, Le Comte de Monte-Cristo, Tome IV Cette douleur était
si poignante que d'Avrigny se détourna pour cacher son émotion, et que
Villefort, sans demander d'autre explication, attiré par ce magnétisme qui nous
pousse vers ceux qui ont aimé ceux que nous pleurons, tendit sa main au jeune
homme. Mais Morrel ne voyait rien ; il avait saisi la main glacée de Valentine,
et, ne pouvant parvenir à pleurer, il mordait les draps en rugissant. Pendant
quelque temps, on n'entendit dans cette chambre que le conflit des sanglots, des
imprécations et de la prière. Et cependant un bruit dominait tous ceux-là,
c'était l'aspiration rauque et déchirante qui semblait, à chaque reprise d'air,
rompre un des ressorts de la vie dans la poitrine de Noirtier. Enfin, Villefort,
le plus ma?tre de tous, après avoir pour ainsi dire cédé pendant quelque temps
sa place à Maximilien, Villefort prit la parole. ?Monsieur, dit-il à Maximilien,
vous aimiez Valentine, dites-vous : vous étiez son fiancé ; j'ignorais cet
amour, j'ignorais cet engagement ; et cependant, moi, son père, je vous le
pardonne, car, je le vois, votre douleur est grande, réelle et vraie. ?D'ailleurs, chez moi aussi la douleur est trop grande pour qu'il reste en mon
cur place pour la colère.? ?Mais, vous le voyez, l'ange que vous espériez a
quitté la terre : elle n'a plus que faire des adorations des hommes, elle qui, à
cette heure, adore le Seigneur ; faites donc vos adieux, monsieur, à la triste
dépouille qu'elle a oubliée parmi nous ; prenez une dernière fois sa main que
vous attendiez, et séparez-vous d'elle à jamais : Valentine n'a plus besoin
maintenant que du prêtre qui doit la bénir. Vous vous trompez, monsieur, s'écria
Morrel en se relevant sur un genou, le cur traversé par une douleur plus aigu?
qu'aucune de celles qu'il e?t encore ressenties ; vous vous trompez : Valentine,
morte comme elle est morte, a non seulement besoin d'un prêtre, mais encore d'un
vengeur. ?Monsieur de Villefort, envoyez chercher le prêtre ; moi, je serai le
vengeur. Que voulez-vous dire, monsieur, murmura Villefort tremblant à cette
nouvelle inspiration du délire de Morrel. Je veux dire, continua Morrel, qu'il y
a deux hommes en vous, monsieur. Le père a assez pleuré ; que le procureur du
roi commence son office. , ? Les yeux de Noirtier étincelèrent, d'Avrigny se rapprocha. CIII.
Maximilien. 186, Page 191, Le Comte de Monte-Cristo, Tome IV ?Monsieur, continua
le jeune homme, en recueillant des yeux tous les sentiments qui se révélaient
sur les visages des assistants, je sais ce que je dis, et vous savez tous aussi
bien que moi ce que je vais dire. ?Valentine est morte assassinée ! ? Villefort
baissa la tête ; d'Avrigny avan?a d'un pas encore ; Noirtier fit oui des yeux.
?Or, monsieur, continua Morrel, au temps où nous vivons, une créature, ne
f?t-elle pas jeune, ne f?t-elle pas belle, ne f?t-elle pas adorable comme était
Valentine, une créature ne dispara?t pas violemment du monde sans que l'on
demande compte de sa disparition. ?Allons, monsieur le procureur du roi, ajouta
Morrel avec une véhémence croissante, pas de pitié ! je vous dénonce le crime,
cherchez l'assassin ! ? Et son il implacable interrogeait Villefort, qui de son
c?té sollicitait du regard tant?t Noirtier, tant?t d'Avrigny.