Non, c’est une nouvelle habitude qu’ont ces messieurs de poser leurs chapeaux
terre, expliqua Mme de Villeparisis, je suis comme vous, je ne m’y habitue pas.
Mais j’aime mieux cela que mon neveu Robert qui laisse toujours le sien dans
l’antichambre. Je lui dis, quand je le vois entrer ainsi, qu’il a l’air de
l’horloger et je lui demande s’il vient remonter les pendules. Vous parliez tout
l’heure, madame la marquise, du chapeau de Molé, nous allons bient?t arriver
faire, comme Aristote, un chapitre des chapeaux, dit l’historien de la Fronde,
un peu rassuré par l’intervention de Mme de Villeparisis, mais pourtant Page
d’une voix encore si faible que, sauf moi, personne ne l’entendit. Elle est
vraiment étonnante la petite duchesse, dit d’Argencourt en montrant Mme de
Guermantes qui causait avec G. Dès qu’il y a un homme en vue dans un salon, il
est toujours c?té d’elle. ?videmment cela ne peut être que le grand pontife qui
se trouve là. Cela ne peut pas être tous les jours de Borelli, Schlumberger ou
d’Avenel. Mais alors ce sera Pierre Loti ou Edmond Rostand. Hier soir, chez les
Doudeauville, où, entre parenthèses, elle était splendide sous son diadème
d’émeraudes, dans une grande robe rose queue, elle avait d’un c?té d’elle
Deschanel, de l’autre l’ambassadeur d’Allemagne : elle leur tenait tête sur la
Chine, le gros public, distance respectueuse, et qui n’entendait pas ce qu’ils
disaient, se demandait s’il n’y allait pas y avoir la guerre. Vraiment on aurait
dit une reine qui tenait le cercle. Chacun s’était rapproché de Mme de
Villeparisis pour la voir peindre. Ces fleurs sont d’un rose vraiment céleste,
dit Legrandin, je veux dire couleur de ciel rose. Car il y a un rose ciel comme
il y a un bleu ciel.
Mais, murmura t-il pour t?cher de n’être entendu que de
la marquise, je crois que je penche encore pour le soyeux, pour l’incarnat
vivant de la copie que vous en faites. Ah ! Page vous laissez bien loin derrière
vous Pisanello et Van Huysun, leur herbier minutieux et mort. Un artiste, si
modeste qu’il soit, accepte toujours d’être préféré ses rivaux et t?che
seulement de leur rendre justice. Ce qui vous fait cet effet-là, c’est qu’ils
peignaient des fleurs de ce temps-l que nous ne connaissons plus, mais ils
avaient une bien grande science. Ah ! des fleurs de ce temps-là, comme c’est
ingénieux, s’écria Legrandin. Vous peignez en effet de belles fleurs de
cerisier. ou de roses de mai, dit l’historien de la Fronde non sans hésitation
quant la fleur, mais avec de l’assurance dans la voix, car il commen?ait oublier
l’incident des chapeaux.