Ah ! c’est bien évocateur d ’un temps assez pernicieusement philistin, car
c’était sans doute une habitude universelle d’avoir son chapeau la main chez
soi, dit Bloch, désireux de profiter de cette occasion si rare de s’instruire,
auprès d’un témoin oculaire, des particularités de la vie aristocratique
d’autrefois, tandis que l’archiviste, sorte de secrétaire intermittent de la
marquise, jetait sur elle des regards attendris et semblait nous dire : Voil
comme elle est, elle sait tout, elle a connu tout le monde, vous pouvez
l’interroger sur ce que vous voudrez, elle est extraordinaire. Mais non,
répondit Mme de Villeparisis tout en disposant plus près d’elle le verre où
trempaient les cheveux de Vénus que tout l’heure elle recommencerait peindre,
c’était une habitude Molé, tout simplement. Je n’ai jamais vu mon père avoir son
chapeau chez lui, excepté, bien entendu, quand le roi venait, puisque le roi
étant partout chez lui, le ma?tre de la maison n’est plus qu’un visiteur dans
son propre salon. Aristote nous a dit dans le chapitre II., hasarda Pierre,
l’historien de la Fronde, mais si timidement que personne n’y fit attention.
Atteint depuis quelques semaines d’insomnie nerveuse qui résistait tous les
traitements, il ne se couchait plus et, brisé de fatigue, ne Page sortait que
quand ses travaux rendaient nécessaire qu ’il se dépla??t. Incapable de
recommencer souvent ces expéditions si simples pour d’autres mais qui lui
co?taient autant que si pour les faire il descendait de la lune, il était
surpris de trouver souvent que la vie de chacun n’était pas organisée d’une
fa?on permanente pour donner leur maximum d’utilité aux brusques élans de la
sienne. Il trouvait parfois fermée une bibliothèque qu’il n’était allé voir
qu’en se campant artificiellement debout et dans une redingote comme un homme de
Wells. Par bonheur il avait rencontré Mme de Villeparisis chez elle et allait
voir le portrait. Bloch lui coupa la parole. Vraiment, dit-il en répondant ce
que venait de dire Mme de Villeparisis au sujet du protocole réglant les visites
royales, je ne savais absolument pas cela comme s’il était étrange qu’il ne le
s?t pas. propos de ce genre de visites, vous savez la plaisanterie stupide que
m’a faite hier matin mon neveu Basin, demanda Mme de Villeparisis l’archiviste.
Il m’a fait dire, au lieu de s’annoncer, que c’était la reine de Suède qui
demandait me voir. Ah ! il vous a fait dire cela froidement comme cela ! Il en a
de bonnes ! s’écria Bloch en s’esclaffant, tandis que l’historien souriait avec
une timidité majestueuse.
Page J’étais assez étonnée parce que je n’étais revenue de la
campagne que depuis quelques jours, j’avais demandé pour être un peu tranquille
qu’on ne dise personne que j’étais Paris, et je me demandais comment la reine de
Suède le savait déjà, reprit Mme de Villeparisis laissant ses visiteurs étonnés
qu’une visite de la reine de Suède ne f?t en elle-même rien d’anormal pour leur
h?tesse. Certes si le matin Mme de Villeparisis avait compulsé avec l’archiviste
la documentation de ses Mémoires, en ce moment elle en essayait son insu le
mécanisme et le sortilège sur un public moyen, représentatif de celui où se
recruteraient un jour ses lecteurs. Le salon de Mme de Villeparisis pouvait se
différencier d’un salon véritablement élégant d’où auraient été absentes
beaucoup de bourgeoises qu’elle recevait et où on aurait vu en revanche telles
des dames brillantes que Mme Leroi avait fini par attirer, mais cette nuance
n’est pas perceptible dans ses Mémoires, où certaines relations médiocres
qu’avait l’auteur disparaissent, parce qu’elles n’ont pas l’occasion d’y être
citées, et des visiteuses qu’il n’avait pas n’y font pas faute, parce que dans
l’espace forcément restreint qu’offrent ces Mémoires, peu de personnes peuvent
figurer, et que si ces personnes sont des personnages princiers, des
personnalités historiques, l’impression maximum d’élégance que des Mémoires
puissent Page donner au public se trouve atteinte. Au jugement de Mme Leroi, le
salon de Mme de Villeparisis était un salon de troisième ordre, et Mme de
Villeparisis souffrait du jugement de Mme Leroi. Mais personne ne sait plus
guère aujourd’hui qui était Mme Leroi, son jugement s’est évanoui, et c’est le
salon de Mme de Villeparisis, où fréquentait la reine de Suède, où avaient
fréquenté le duc d’Aumale, le duc de Broglie, Thiers, Montalembert, Mgr
Dupanloup, qui sera considéré comme un des plus brillants du XIXe siècle par
cette postérité qui n’a pas changé depuis les temps d’Homère et de Pindare, et
pour qui le rang enviable c’est la haute naissance, royale ou quasi royale,
l’amitié des rois, des chefs du peuple, des hommes illustres. Or, de tout cela
Mme de Villeparisis avait un peu dans son salon actuel et dans les souvenirs,
quelquefois retouchés légèrement, l’aide desquels elle le prolongeait dans le
passé. Puis de Norpois, qui n’était pas capable de refaire une vraie situation
son amie, lui amenait en revanche les hommes d’?tat étrangers ou fran?ais qui
avaient besoin de lui et savaient que la seule manière efficace de lui faire
leur cour était de fréquenter chez Mme de Villeparisis.
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