, En arrivant dans l'antichambre du comte, on voyait au-dessus de la porte qui
donnait dans le salon un écusson qui, par son entourage riche et son harmonie
avec l'ornementation de la pièce, indiquait l'importance que le propriétaire de
l'h?tel attachait à ce blason. Monte-Cristo s'arrêta devant ce blason, qu'il
examina avec attention. ?D'azur à sept merlettes d'or posées en bande. C'est
sansdoute l'écusson de votre famille, monsieur , demanda-t-il. ? part la
connaissance des pièces du blason qui me permet de le déchiffrer, je suis fort
ignorant en matière héraldique, moi, comte de hasard, fabriqué par la Toscane à
l'aide d'une commanderie de Saint-?tienne, et qui me fusse passé d'être grand
seigneur si l'on ne m'e?t répété que, lorsqu'on voyage beaucoup, c'est chose
absolument nécessaire. Car enfin il faut bien, ne f?t-ce que pour que les
douaniers ne vous visitent pas, avoir quelque chose sur les panneaux de sa
voiture. Excusez-moi donc si je vous fais une pareille question. -Elle n'est aucunement indiscrète, monsieur, dit Morcerf avec la
simplicité de la conviction, et vous aviez deviné juste : ce sont nos armes,
c'est-à-dire celles du chef de mon père ; mais elles sont, comme vous voyez,
accolées à un écusson qui est de gueule à la tour d'argent, et qui est du chef
de ma mère ; par les femmes je suis Espagnol, mais la maison de Morcerf est
fran?aise, et, à ce que j'ai entendu dire, même une des plus anciennes du Midi
de la France. -Oui, reprit Monte-Cristo, c'est ce qu'indiquent les merlettes.
Presque tous les pèlerins armés qui tentèrent ou qui firent la conquête de la
Terre Sainte prirent pour armes ou des croix, signe de la mission à la quelle
ils s'étaient voués, ou des oiseaux voyageurs, symbole du long voyage qu'ils
allaient entreprendre et qu'ils espéraient accomplir sur les ailes de la foi. Un
de vos a?eux paternels aura été de quelqu'une de vos croisades, et, en supposant
que ce ne soit que celle de saint Louis, cela nous fait déjà remonter au
treizième siècle, ce qui est encore fort joli. -C'est possible, dit Morcerf : il
y a quelque part dans le cabinet de monXLI. La présentation. 167Page 171Le Comte
de Monte-Cristo, Tome IIpère un arbre généalogique qui nous dira cela, et sur
lequel j'avais autrefois des commentaires qui eussent fort édifié d'Hozier et
Jaucourt. , ? présent, je n'y
pense plus ; cependant je vous dirai, monsieur le comte, et ceci rentre dans mes
attributions de cicérone, que l'on commence à s'occuper beaucoup de ces
choses-là sous notre gouvernement populaire. -Eh bien, alors, votre gouvernement
aurait bien d? choisir dans son passé quelque chose de mieux que ces deux
pancartes que j'ai remarquées sur vos monuments, et qui n'ont aucun sens
héraldique. Quant à vous, vicomte, reprit Monte-Cristo en revenant à Morcerf,
vous êtes plus heureux que votre gouvernement, car vos armes sont vraiment
belles et parlent à l'imagination. Oui, c'est bien cela, vous êtes à la fois de
Provence et d'Espagne ; c'est ce qui explique, si le portrait que vous m'avez
montré est ressemblant, cette belle couleur brune que j'admirais si fort sur le
visage de la noble Catalane.? Il e?t fallu être Oedipe ou le Sphinx lui-même
pour deviner l'ironie que mit le comte dans ces paroles, empreintes en apparence
de la plus grande politesse ; aussi Morcerf le remercia-t-il d'un sourire, et,
passant le premier pour lui montrer le chemin, poussa-t-il la porte qui
s'ouvrait au-dessous de ses armes, et qui, ainsi que nous l'avons dit, donnait
dans le salon. Dans l'endroit le plus apparent de ce salon se voyait aussi un
portrait ; c'était celui d'un homme de trente-cinq à trente-huit ans, vêtu d'un
uniforme d'officier général, portant cette double épaulette en torsade, signe
des grades supérieurs, le ruban de la Légion d'honneur au cou, ce qui indiquait
qu'il était commandeur, et sur la poitrine, à droite, la plaque de grand
officier de l'ordre du Sauveur, et, à gauche, celle de grand-croix de Charles
III, ce qui indiquait que la personne représentée par ce portrait avait d? faire
les guerres de Grèce et d'Espagne, ou, ce qui revient absolument au même en
matière de cordons, avoir rempli quelque mission diplomatique dans les deux
pays. Monte-Cristo était occupé à détailler ce portrait avec non moins de soin
qu'il avait fait de l'autre, lorsqu'une porte latérale s'ouvrit, et qu'il se
trouva en face du comte de Morcerf lui-même.
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