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2014-03-12 11:36:02
Mme Récamier parlait souvent de M. Ballanche et ne séparait jamais
sonsouvenir de celui de M. de Chateaubriand. Elle s'exprimait sur eux
commes'ils eussent été momentanément absents; à l'heure où ses deux
amisavaient coutume d'entrer dans son salon, si la porte s'ouvrait, je
l'aivue tressaillir; je lui en demandai la raison; elle me dit qu'elle
avaitd'eux, en de certains moments, une pensée si vive, que c'était
comme unesorte d'apparition. Le nuage qui enveloppait pour elle tous les
objetsdevait favoriser ces effets d'imagination.Peu de temps après la
mort de M. de Chateaubriand, Béranger, qui n'étaitjamais venu à
l'Abbaye-au-Bois, mais que Mme Récamier avait plusieursfois rencontré
chez son ami, demanda à la voir.
Elle le re?ut, et futtouchée de la sympathie qu'il lui exprima, et
surtout de son admirationpour le génie et la personne de M. de
Chateaubriand. C'est la seule foisque j'aie rencontré le célèbre
chansonnier, je ne crois pas qu'il aitfait une seconde visite à Mme
Récamier. Ce petit homme chauve, auxtraits ronds, à la physionomie fine
et sans noblesse, cet épicurien quitenait du confesseur et chez lequel
la bonhomie se mêlait à la malice,me frappa et me déplut.La publication
des Mémoires d'outre-tombe dans les feuilletons de laPresse fut pour Mme Récamier un véritable chagrin; elle savait à queldegré M.
de Chateaubriand l'avait désapprouvée, et e?t voulu l'empêcher.Elle
vécut assez pour voir combien ce mode de publication fut nuisibleau
succès des Mémoires. La publicité d'une feuille quotidienneajoutait à l'impression de
sévérité de quelques jugements, et parconséquent accroissait les
rancunes et les inimitiés.Huit mois se passèrent ainsi. Le samedi saint
1849, Mme Lenormant, enarrivant le soir chez sa tante, la trouva
légèrement émue de ce qu'elleavait appris d'une nouvelle invasion du
choléra; assurément, dans ladisposition de son ?me, elle était loin de
redouter la mort, mais, sousla forme du choléra, la mort l'effrayait. On
avait raconté que plusieursaccidents très-rapides avaient eu lieu à
l'hospice des Ménages, dontl'Abbaye-au-Bois n'était séparée que par son
jardin. Il fut convenu que,si ces détails se confirmaient, Mme Récamier
viendrait dès le lendemains'établir à la Bibliothèque.Il n'était que
trop vrai que le fléau avait reparu, et, comme à sapremière invasion, la
rue de Sèvres en fut fort maltraitée. Mme Récamiers'installa chez sa
nièce le jour de P?ques.
On l'a déjà dit, on ne saurait assez le répéter: personne n'a
jamaisporté dans la vie de famille, dans l'intimité des habitudes, un
charmeplus pénétrant, une douceur plus parfaite, avec autant de liberté;
larégularité qu'elle se plaisait à établir dans l'emploi de son
tempsfacilitait singulièrement la vie commune. Obligée de se servir
d'autresyeux que les siens pour satisfaire son go?t de lecture,
elles'arrangeait de manière à assortir sa lecture à son lecteur; car
l'ennuid'un autre lui e?t été beaucoup plus difficile à supporter que le
sien.Le chagrin dans lequel elle était plongée n'avait rien fait perdre
à lavivacité qu'elle savait mettre à ce qui intéressait ses amis;
ellen'était indifférente qu'à elle-même, et je ne puis exprimer ce que
ladésolation de ce coeur, dont la douleur ne tarissait pas la
tendresse,avait d'admirable et de poignant.Les suffrages de l'Académie
fran?aise avaient d'abord donné poursuccesseur au bon Ballanche M.
Vatout. L'élection de celui-ci était àpeine faite, que le souffle des
révolutions emporta la monarchieélective. M.