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2014-01-09 09:07:48
Ce prince, plus vain encore que misérable, demanda à cesétrangers si
l'on parloit beaucoup de lui en France. Il croyoit queson nom devoit
être porté d'un p?le à l'autre; et, à la différence dece conquérant de
qui on a dit qu'il avoit fait taire toute la terre,il croyoit, lui,
qu'il devoit faire parler tout l'univers.Quand le kan de Tartarie a
d?né, un héraut crie que tous les princesde la terre peuvent aller
d?ner, si bon leur semble; et ce barbare,qui ne mange que du lait, qui
n'a pas de maison, qui ne vit que debrigandages, regarde tous les rois
du monde comme ses esclaves, et lesinsulte régulièrement deux fois par
jour. De Paris, le 28 de la lune de Rhégeb, 1713.LETTRE XLV.RICA A
USBEK.A .
Hier matin, comme j'étois au lit, j'entendis frapper rudement à
maporte, qui fut soudain ouverte ou enfoncée par un homme avec
quij'avois lié quelque société, et qui me parut tout hors de
lui-même.Son habillement étoit beaucoup plus que modeste, sa perruque
detravers n'avoit pas même été peignée; il n'avoit pas eu le temps
defaire recoudre son pourpoint noir, et il avoit renoncé, pour
cejour-là, aux sages précautions avec lesquelles il avoit coutume
dedéguiser le délabrement de son équipage.Levez-vous, me dit-il; j'ai
besoin de vous tout aujourd'hui; j'aimille emplettes à faire, et je
serai bien aise que ce soit avec vous:il faut premièrement que nous
allions à la rue Saint-Honoré parler àun notaire qui est chargé de
vendre une terre de cinq cent millelivres; je veux qu'il m'en donne la
préférence. En venant ici, je mesuis arrêté un moment au faubourg
Saint-Germain, où j'ai loué un h?teldeux mille écus, et j'espère passer
le contrat aujourd'hui.Dès que je fus habillé, ou peu s'en falloit, mon
homme me fitprécipitamment descendre: Commen?ons par aller acheter un
carrosse, etétablissons d'abord l'équipage. En effet, nous achet?mes
non-seulementun carrosse, mais encore pour cent mille francs de
marchandises, enmoins d'une heure; tout cela se fit promptement, parce
que mon hommene marchanda rien, et ne compta jamais: aussi ne
dépla?a-t-il pas. Jerêvois sur tout ceci; et quand j'examinois cet
homme, je trouvois enlui une complication singulière de richesses et de
pauvreté: demanière que je ne savois que croire. Mais enfin je rompis le silence,et, le tirant à quartier, je lui dis:
Monsieur, qui est-ce qui payeratout cela? Moi, me dit-il; venez dans ma
chambre; je vous montreraides trésors immenses, et des richesses enviées
des plus grandsmonarques; mais elles ne le seront pas de vous, qui les
partagereztoujours avec moi. Je le suis. Nous grimpons à son cinquième
étage, etpar une échelle nous nous guindons à un sixième, qui étoit un
cabinetouvert aux quatre vents, dans lequel il n'y avoit que deux ou
troisdouzaines de bassins de terre remplis de diverses liqueurs. Je me
suislevé de grand matin, me dit-il, et j'ai fait d'abord ce que je
faisdepuis vingt-cinq ans, qui est d'aller visiter mon oeuvre: j'ai
vuque le grand jour étoit venu qui devoit me rendre plus riche
qu'hommequi soit sur la terre. Voyez-vous cette liqueur vermeille? elle a
àprésent toutes les qualités que les philosophes demandent pour fairela
transmutation des métaux. J'en ai tiré ces grains que vous voyez,qui
sont de vrai or par leur couleur, quoiqu'un peu imparfaits parleur
pesanteur. Ce secret, que Nicolas Flamel trouva, mais que RaimondLulle
et un million d'autres cherchèrent toujours, est venu jusques àmoi, et
je me trouve aujourd'hui un heureux adepte.
Fasse le ciel queje ne me serve de tant de trésors qu'il m'a
communiqués, que pour sagloire!Je sortis, et je descendis, ou plut?t je
me précipitai par cetescalier, transporté de colère, et laissai cet
homme si riche dans sonh?pital. Adieu, mon cher Usbek. J'irai te voir
demain, et, si tu veux,nous reviendrons ensemble à Paris. A Paris, le
dernier de la lune de Rhégeb, 1713.LETTRE XLVI.USBEK A RH?DI.A Venise.